Portalis : sa vie, et ses oeuvres

EN EXIL 171

IL faut remarquer, du reste, que, malgré ses préven tions en partie motivées contre l’école philosophique de son temps, il se laisse quelquefois entraîner par elle. Ainsi son ouvrage même, dans son ensemble, n’est qu’une nouvelle application de cet esprit critique dont il recherche les effets et qui est le signe caractéristique du xvur siècle. Son plan encyclopédiquene pouvait être adopté que par un contemporain de Diderot et de Dalembert. Enfin, dans l'exposé de ses doctrines métaphysiques, il subit, à son insu et malgré lui, l'influence de Locke et de Condillac. En effet, si, dans certains passages et notamment dans ceux que nous avons cités plus haut, ses convictions spiritualistes sont affirmées en : termes précis, sa pensée est loin d’être partout aussi claire. Au début même de son Æssai, sur la question vitale de l’origine des idées, il émet cette assertion périlleuse : « C’est une vérité d'expérience échappée à » Descartes, que nos idées ont leur origine dans nos » sensations! ; » il va plus loin encore, lorsqu'il s’appuie, pour combattre le kantisme, sur le principe de la philosophie d’Aristote : « Nihil est in intellectu quod » non priùs fuerit in sensu. » En écrivant ces lignes, que réfute tout le reste de son ouvrage, Portalis ne s’apercevait pas qu’elles renfermaient, en germe sinon en substance, le sensualisme tout entier : expression trahissait sa pensée, et, sous l’action presque irrésistible du milieu où il vivait, il tombait dans une fächeuse inconséquence.

1. Portalis, De l'usage et de l'abus de l'esprit philosophique, tome Ier, chapitre 1v, page 27.