Portalis : sa vie, et ses oeuvres

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chrétien : erreur fatale, qui devait jeter le trouble dans les consciences, semer la méfiance et la haine entre les deux pouvoirs et créer plus tard, sur la plupart des trônes catholiques, des adhérents intéressés au schisme protestantet à l’insurrection de la pensée philosophique ! 11 importe de mettre en évidence la cause d’une faute dont les conséquences furent ‘si graves. Beaucoup d’historiens ne l’ont cherchée que dans le caractère orgueilleux de Grégoire VII et de Boniface VII et ils ont attribué uniquement à une pensée d’ambition l’audacieuse tentative qui a précipité ces deux pontifes dans un abîme d’infortunes et de douleurs. Cette explication a, sans doute, une certaine vérité historique ; mais elle semble incomplète. Lorsque l'Église, par la voix de Boniface VIII, se proclama souveraine des souverains, et que, prétendant ici-bas au rôle de la Providence, elle se déclara l'arbitre des sceptres et des couronnes, ce n’était pas seulement le désir de la domination qui l’inspirait, c'était encore, il faut le dire, le zèle exagéré, mais sincère de sa mission. La société chrétienne présentait, à cette époque, le plus afiligeant spectacle. Elle traversait l’une de ces trois grandes crises qui ont, au xIvV°, au XVI et au xvixi° siècles, successivement ébranlé l'Europe jusque dans ses fondements et menacé de faire reculer la civilisation : huit croisades avaient épuisé l'enthousiasme qui les avait enfantées ; les croisés avaient rapporté de la Terre Sainte les goûts et les mœurs de l'Orient ; la féodalité avait perdu la vigueur de sa constitution primitive; la royauté se sentait déjà assez forte pour opprimer, sans