Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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conseil n’osa la décider. Il ne le devait pas, car la scission se serait faite entre les ordres avant les états-généraux, et peut-être n’auraient-ils pas eu lieu. Cette décision fut renvoyée aux états-généraux eux-mêmes, c’est-à-dire aux deux partis quand ils seraient en présence. C'était donner réellement la victoire au plus fort, ainsi que l'expérience l’a prouvé. Aussi la fureur et les cabales se réveillèrent à la cour contre M. Necker; comme si, dans une convocation demandée par la volonté générale, il n’avait pas dû la consulter; comme s'il n'avait pas été prouvé par l'expérience qu'il était plus prudent d'écouter l'opinion publique, que de la choquer, pour reculer ensuite devant elle! On lui faisait encore un crime d’avoir admis un nombre aussi considérable de curés, que chacun jugeait devoir être favorables au tiers-état, dans lequel ils avaient pris naissante : mais on oubliait tout ce que l'esprit de corps devait mettre de contre-poids dans la balance. La scission qui se fit entre le tiers-état et les deux autres ordres dans la plupart des assemblées de baïlliages annonça que le schisme politique était prononcé, et qu'il s’éleverait de grands combats entre l'intérêt public et les priviléges.

Ces assemblées, qui mirent en mouvement six millions d'hommes, furent un nouveau foyer de lumières pour le tiers-état. La noblesse et le clergé, dans des chambres séparées, y rédigeaient des cahiers, dont l'objet était de demander leur avantage d’abord , et le bien public ensuite. Tous renoncèrent cependant à leurs priviléges pécuniaires : ils consentaient à payer les impôts comme les autres sujets. Les cahiers du tiers, rédigés à la hâte et dans l’espace de quelques jours, demandaient la suppression de plus d'abus que l'assemblée nationale, en deux ans de temps, n’a pu en détruire, et une réforme plus grande qu’elle n’a pu Vopérer; car quoiqu’on n’osât alors porter ses espérances jusqu'aux événemens qui ont eu lieu depuis, quoique .l’assemblée nationale ait fait de ces réformes radicales qui ont fait crouler à-la-fois tousles abus dont l’abus principal était surchargé, le recueil des cahiers du tiers-état renferme encore une foule de demandes importantes qui sont renvoyées à la postérité. Mais tous s’accordaient à demander une constitution, la liberté; que la nation reprit ses droits, et que le trésor public ne fût plus livré aux déprédations de la cour. Chaque corps entendait cependant que les fruits de cette liberté fussent pour lui, et demandait la conservation de ses priviléges. Ces discordances annoncaient évidemment que les états-généraux ne feraient rien, ou qu’ils feraient tout si le tiers-état l'emportait, Dans chaque ordre