Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3
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ou sur qui des rivaux jaloux se vengeaient avec une basse cruauté. La plupart des acteurs et des actrices du ThéâtreFrancais avaient précédé les suspects dans les prisons de Paris. Leur crime était d’avoir osé représenter, pendant la lutte des girondins et des jacobins, une comédie intitulée lAmi des Lois, dans laquelle ces derniers étaient attaqués avec énergie. D'ailleurs ils avaient opposé une honorable résistance aux stupides et barbares inventions par lesquelles on dégradait alors la scène française. La cause de leur malheur, leur constance à le supporter, furent le plus beau des titres que la révolution leur fournit,
Des indigens, des ouvriers étaient mêlés, même en assez grand nombre, à tous ces proscrits. Les hommes les plus révoltés contre l'égalité mettaient un grand soin à soulager, à honorer ces compagnons d’infortune; mais on leur envia le plaisir, ou du moins le mérite de leur bienfaisance , dont on leur fit une loi sévère. Ghaque prisonnier riche fut chargé, par les commissaires de la commune, de fournir à l'entretien des plus pauvres.
Il y avait à Paris telle prison qui offrait l'aspect d’une vaste maison de campagne où plusieurs personnes, surprises et arrêtées par l'hiver, chercheraient par des jeux, par les ressources des arts ou par les douceurs de la conversation, à charmer l’ennui d’un séjour prolongé. Cette situation fut pendant quelques mois celle de la prison que les jacobins appelaient Port- Libre. Mais il y avait une cruelle inégalité entre ces lieux de détention. La Conciergerie, la Force, le Plessis, la Mairie, étaient livrés à un régime plus affreux qu'aucune prison de l'Europe. Dans les deux premières surtout, outre la certitude du supplice, on avait encore la crainte de ne pouvoir échapper à la contagion. Les jacobins voulaient que les langueurs et les maladies qui provenaient de ce séjour infect affaiblissent un courage qui faisait quelque impression sur le peuple.
On ne peut calculer toutes les prisons qu’avaient établies dans la France ces hommes qui s’appelaient encore les destructeurs de la Bastille. Souvent les suspects se trouvaient confondus avec des voleurs et des assassins, et ceux-ci montraient de la sécurité; à peine songeait-on à les punir; on réservait pour eux seuls l’indulgence des lois criminelles , des tribunaux et des jurés. Ces prisonniers couchaient souvent sur le pavé d’une église, ou étouffaient dans les caveaux d’un monastère; quelquefois des hommes riches étaient enfermés dans leurs hôtels, transformés en prisons. Les palais des princes servaient généralement à cet usage. Douze à quinze cents suspects gémissaient à Chantilly. à