Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3
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Souvent. la veille de leur exécution, les condamnés s'as< seyaient à un banquet funèbre qui les réunissait à tant d’autres qui attendaient encore leur condamnation. Des entretiens sur l’immorialité de l'ame, sur l'avenir des justes ; charmaient souvent les instans de cette horrible attente , et la douleur n’était plus que pour ceux Qui survivaiente
Il y eut une belle réponse d'Ysabeau au tribunal révolutionnaire. Il avait été pendant beaucoup d'années greffier du parlement de Paris. Le président du tribunal, qui ne pouvait souffrir le calme de ses réponses, crut avoir trouvé un moyen de l'irriter en lui demandant s'il reconnaissait cette salle : Je la reconnais , dit Ysabeau; c'est ici où La vertu jugeait le crime, et où le crime aujourd'hui égorge l'innocence.
L'horreur de parcourir ces listes de condamnés redouble de violence à mesure qu'on approche du g thermidor. On n’était plus éloigné que de trois ou quatre jours de cette époque de délivrance , lorsque périrent les deux frères Trudaine, André Chénier et Roucher, avec soixante-dix compagnons ou compagnes , tous dignes de regrets. Que ne puis-je un moment payer les miens à la mémoire de ceux que je viens de nommer ! Les deux frères Trudaine avaient hérité de leur père une bienveillance active et éclairée. La plus noble passion des hommes heureux, leur plus douce je ce qu'ils avaient appris toute leur vie, c’étaient es moyens d’être utiles aux hommes. Je ne sais quel espoir trompa encore le cœur de l'aîné en*paraissant devant les juges assassins. Cet espoir n’était pas pour lui, c'était pour son frère. Il s’abandonna sans défense aux reproches les plus absurdes qui lui étaient faits; mais son frère, il le défendit comme s’il y avait eu là des juges, des hommes. Il dépeignait l'innocence de ses goûts, la candeur de son caractère, tout ce qui enfin devait repousser loin de lui l'idée d’une conspiration. Il ne fut point écouté.
Roucher, à l’époque de l'assemblée législative, s'était attiré le ressentiment de Robespierre et de Collot-d'Herbois, par des écrits courageux. Une imagination brillante, audacieuse, l'avait distingué parmi les hommes de lettres; une ame sensible et forte le rendait cher à tous les gens de bien.
Durant une longue prison, il avait trouvé des consolations dans quelques entretiens avec sa fille, et quand la tyrannie les interrompit, il avait eu, avec elle cette touchante correspondance que le public a lue, et dans laquelle un père, une fille, cherchent, par tous les moyens du cœur et de l'esprit, à s’'alléger le poids de leurs souffrances et de leurs alarmes.