Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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ils avaient recu les secours. On attendait l’arrivée de ces fripons autorisés avec la même terreur qu'auparavant on attendait les satellites d’une tyrannie sanguinaire. L’excès du dommage souffert porta certaines personnes à le faire souffrir par représailles. Cependant, malgré de nombreux exemples de la plus cruelle perfidie , une épreuve si dangereuse ne tourna point à Ja honte de la nation française : les remboursemens ne devinrent point une abolition générale des dettes. 11 y eut des ligues faites au nom de l'honneur pour se garantir de cette ruine et de cette tentation. Le commerce de Paris et celui des principales villes de France ne comptèrent qu'un petit nombre de débiteurs qui eurent recours à ce moyen de s'acquitter.

Mais les biens nationaux, que le directoire avait donnés pour gage aux promesses de mandats territoriaux, furent une proie dont chacun s’empara sans scrupule ; et comme chacun accourait pour en prendre possession, ils furent le prix des courses les plus rapides. Le gouvernement songea trop tard à arrêter ce désordre. Déjà d'immenses capitaux avaient été dévorés dans cette opération, dont les effets honteux et désastreux furent un nouvel exemple du danger d’opposer des lois de finance aux lois de la morale.

Enfin il fallut ôter toute espèce de valeur à 21 milliards d’assignats et à quelques milliards de rescriptions et de mandats. Au moment de l'extinction du papier-monnaie , le louis d’or s’échangeait contre 27 ou 28 mille livres en assignats. Cette proportion sufht pour indiquer quelles sommes énormes, mais fictives, coûtaient les dépenses les plus ordinaires. Je n’en offrirai point ici les tableaux , également ridicules et déplorables. La plupart de ceux entre les mains desquels les assignats périssaient se virent sans étonnement et avec une profonde résignation privés de leurs richesses imaginaires. Les murmures de quelques hommes imprévoyans et crédules, et ceux des spéculateurs les plus dangereux, furent étouffés par Pallégresse générale qui célébrait le retour du règne métallique. La propriété et le travail sortaient enfin du chaos qui rendait illusoire leur titre ou leur salaire. Le cours des assignats avait été favorable à tous ceux qui les avaient jugés avec défiance. Les campagnes lui durent une prospérité qui tendait chaque jour davantage à la ruine des villes. Les fermiers ne recevaient des assignats que pour le Paiement de leurs contributions et de leurs baux, et se jouaient également du fisc et de leurs propriétaires. Ils succédaient aux biens de ceux-ci, et se rapprochaient de leur luxe. Les chaumières s'étaient partout enrichies des