Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA RENAISSANCE INTELLECTUELLE DE LA NATION SERBE 95

passait pour un saint; des malades venaient implorer de lui leur guérison : « Je croyais tout ce que je lisais, ditl dans ses Mémoires, comme les Tures croientles derviches. » L’hégoumène l’observait avec une sollicitude qui n’était pas exempte de quelque scepticisme : « Je crains bien, disait-il, que cette sainteté ne dure pas longtemps. »

Il disait vrai. Un beau jour le diacre s’aperçut qu'il existait des livres laïques, des livres d’histoire en langue russe. Un jeune prêtre lui parla de la langue latine. Ce fut toute une révélation. Quis ? quid ? quomodo ? ubi ? ubivis P ubicumque ? Ces mots magiques résonnaient sans cesse dans l'oreille de Dosithée et hantaient son cerveau. C'était pour lui « la musique des sirènes. »

Mais personne ne savait le latin à Khopovo. Du jour où le néophyte eut fait cette lamentable découverte, le monastère perdit tout son charme. Pouvait-on vivre dans un endroit où il n'y avait point de latin ? Son hégoumène révait de l’envoyer au fameux monastère de Kiev, mais les ressources lui manquaient. ï

Cet excellent homme mourut au printemps de l’année 1760. Sa mort rompit le dernier lien qui attachait le jeune homme au monastère de Khopovo. Les moines, jaloux de la supériorité de leur jeune confrère, lui rendaient la vie intolérable. Le 2 novembre 1760, Dosithée quitta cette maison qui lui avait été si chère, et en compagnie d’un diacre de ses amis il se rendit à Agram.

D'un milieu serbe et orthodoxe il était brusquement transporté dans un milieu croate et catholique. La langue populaire était presque la même, mais l’alphabet latin, combiné avec une orthographe très compliquée, se substituait à l'alphabet cyrillique ou gréco-slave. D'autre part les Serbes que Dosithée eut l’occasion de rencontrer n'étaient plus orthodoxes mais uniates, et s’efforcèrent — inutilement d’ailleurs — d'attirer le pèlerin dans leur Église.

A ce moment-là l'Autriche était en guerre avec la Prusse et Dosithée songea à s'engager comme aumônier militaire. Mais il ne réalisa pas cette idée ; il apprit un peu de latin à