Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA RENAISSANCE INTELLECTUELLE DE LA NATION SERBE 99

cation de ses deux neveux. Tout en leur enseignant l’allemand, le français et l'italien, il étudie la philosophie de Baumeister, qui était alors fort à la mode. Il profite de son séjour en Hongrie pour aller saluer son pays natal qu'il n'avait pas revu depuis vingt années, « saluer la tombe de ses parents et baiser cette ierre sacrée où reposent leurs restes ».

Ce clericus vagans de mœurs très chastes est d’ailleurs le tempérament le moins ecclésiastique qu’on puisse imaginer. Dans la langue serbe qu’il bégaye le premier, il introduit la terminologie philosophique du dix-huitième siècle. Il abuse, comme tous ces contemporains, des mots sensible, sensibilité, et, comme la langue serbe ne les lui fournissait pas, il les emprunte sans hésiter à la langue russe. Il rencontre dans son pays natal une compatriote victime d’une banale mésaventure. Elle s’est mariée, elle a eu deux enfants, puis un beau jour son mari a disparu et l’a abandonnée. Elle ne peutse remarier, l'Église ne le permet pas. EtObradovitch s’indigne etil s’écrie dans un style que Voltaire ou Rousseau n’eût point désavoué :

O hommes, que faites-vous dans ce monde ? Jusques à quand des ermites et des moines feront-ils la loi pour l'Eglise? J'ai vu à Constantinople et à Smyrne, j'ai vu de mes yeux comment l'Eglise et le patriarche, pour un prétexte beaucoup moins grave, permettent aux femmes d’épouser un second mari. N'est-ce pas agir contre la volonté de Dieu, par conséquent contre toute loi censée, que d'empêcher des êtres de se reproduire en louant Dieu ? Mais, dira-t-on, si le premier mari revient ? S'il revient, il yaun remède bien simple: qu'il prenne une autre femme et qu'il la garde mieux que la première, Mais s'il ne revient pas, quel remède pouvez-vous trouver ?

L'Église orthodoxe n’admet pas les quatrièmes noces ; l'esprit philosophique d'Obradovitch s’emporte contre cette interdiction tyrannique :

Voilà une femme de trente ans, jeune et belle à merveille ; son troisième mari est mort et elle ne peut plus se remarier. Est-ce sa faute si elle a perdu trois maris? Et ce mari! est-ce sa faute si