Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LES USKOKS 115

sans murmurer toutes les privations, toutes les souffrances.

Ils recevaient parfois une solde, mais fort irrégulière. Ils étaient souvent réduits à vivre de pillage et à chercher leur vie assez loin. La région de Senj est pauvre et désolée; ils vivaient aux dépens des Tures ; par terre ils pénétraienten Bosnie, par mer ils allaient ravager le littoral de cette province et celui de l’Herzégovine. L’Autriche tolérait, si elle ne l’encourageait, cette existence aventureuse. Les Vénitiens lorsqu'ils étaient en guerre avec le Ture, n'étaient pas fâchés d’avoir à leur service quelques bandes d’Uskoks. Parfois le Pape leur envoyait des subsides. N’étaient-ils pas contre les infidèles l'avant-garde de la chrétienté ?

En revanche, lorsque Venise était en paix avec la Porte, elle devait s’engager à ne pas laisser les Uskoks passer sur le territoire ottoman. Alors ils s’en prenaient aux navires de la République, exerçaient le métier de corsaire à ses dépens etpillaient les maisons de commerce. Leurs légères barques se dissimulaient aisément derrière les nombreux ilots, les écueils du littoral dalmate et défiaient les galères de Saint Marc. Un contemporain compare cette lutte de Venise contre les Uskoks à celle du lion, contre les moustiques. Ils avaient parmi leurs congénères les Schiavoni, autrement dit les Serbo-Croates au service de la marine vénitienne, des agents et des espions qui les tenaient au courant des mouvements de la flotte. Prenez garde aux gens de Senj, disait un proverbe de ce temps-là (Cuvaj se Senjske ruke).

Chez nous au moyen âge les mercenaires licenciés en temps de paix avaient formé les Grandes Compagnies. Les Uskoks réduits à vivre d’expédients devinrent des corsaires et retournèrent contre Venise l'esprit d'aventure qu'ils avaient exercé d’abord contre les mécréants. Le gouvernement de Vienne dut intervenir pour ramener à la discipline et à l’obéissance des alliés trop compromettants. En 1601 un commissaire impérial fut envoyé pour rétablir l’ordre. Il fut assassiné. Cependant la République de Venise insistait pour qu'on la débarrassâät de ces voisins turbulents. En 1617 les Uskoks furent internés dans l’intérieur du pays croate,