Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LES USKOKS 119

adversaire un accueil chevaleresque. Il l'invite à boire le vin avec lui et à racheter sa tête sans combattre. Ivo refuse : « En garde, si tu n’es pas une femme, car je n’ai pas de temps à perdre ».

L'aga rugit comme un dragon furieux, bondit sur ses pieds, s’élance sur son cheval noir et le combat s'engage. Ivo est merveilleusement secondé par l’intelligence de son cheval.

Mais son adversaire réussit à le démonter et l’oblige à continuer le combat à pied. Il lui offre généreusement la vie, s’il veut s’avouer vaincu. Ivo répond dans un langage qui eût été au cœur de notre Corneille et que le poète de la Chanson de Roland n’eût pas désavoué :

Si tu m'as séparé.de mon cheval, tu ne m'as point séparé de mon épée. C’est l'épée de mon père qui a été souvent sur les champs de bataille, qui a coupé assez de têtes de Tures. Avec l’aide de Dieu elle coupera aussi la tienne.

Le combat continue donc et le jeune héros abat la tête du cheval de son adversaire. Cette fois, c’est le Ture qui s'avoue vaincu supplie le jeune Ivo de devenir son pobratim, son frère d'adoption, et s’offre à racheter sa vie au prix qui lui sera demandé :

Ivo Senkovic lui répond brutalement: « J'aime mieux ta tète morte que tout le trésor de l’empereur ».

Il lui coupe la tête, la met dans le sac qu'il porte à sa ceinture. Le poème pourrait finir ici, mais, comme nous l’avons fait remarquer tout à l’heure, les auteurs de ces poèmes se plaisent à introduire dans leurs récits toute espèce d'éléments romanesques. ‘

Le jeune vainqueur dépouille l’aga de son costume, l’endosse à la place du sien. Les Tures qui ont vu la défaite de leur aga veulent en tirer vengeance. Deux d’entre eux montent à cheval et se mettent à la poursuite du vainqueur.

1. La fraternité d’adoption se rencontre fréquemment chez les SerboCroates. Elle se pratique même entre les deux sexes.