Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

128 SERBES, CROATES ET BULGARES

mière édition du poème que nous étudierons tout à l'heure.

Survint l’année tragique de 1848. Elle eut son contre-coup sur les destinées du Monténégro. D'un côté, les Vénitiens, qui avaient proclamé leur indépendance, avaient annoncé l'intention de reconquérir la Dalmatie et les Bouches de Cattaro ; d'autre part, les Croates, sous le commandement de Jellacich, se soulevaient contre les Magyars. Le 20 mai 1848 le vladika fit imprimer une proclamation par laquelle il invitait les Bocchesi! et les Ragusains à se ranger sous les drapeaux de Jellacich. Cette intervention dans les affaires d’un pays étranger était en somme tout à fait contraire aux usages et aux droits des gens. Mais le Monténégro, n'existant que de fait, avait peut-être le droit d’ignorer les traditions diplomatiques. L'époque, d'ailleurs, était de celles auxquelles on peut appliquer le mot du poète, fas versum aique nefas.Le vladika déclarait à ses voisins que, s'ils ne résistaient pas aux Italiens et se laissaient de nouveau dominer par eux, ils trouveraient chez les Monténégrins une hostilité irréconciliable. Si au contraire ils restaient fidèles à la cause slave, représentée par Jellacich, les Monténégrins leur viendraient en aide. Et il offrait dès maintenant son concours à Jellacich. La lettre qu’il lui écrivait le 20 novembre 1848 mérite d’être traduite en entier. C’est un document fort intéressant pour l’histoire des idées de solidarité slave ou, comme auraient dit nos pères, du panslavisme :

Glorieux Ban,

Nous nous réjouissons de chacun de tes succès comme de notre propre succès; car c'est le triomphe de notre nation et aussi le mien, à moi qui suis ton frère. Glorieux Ban! Ta mission est difficile, mais grandiose et admirable. Un destin mystérieux t'a mis à la tête des Slaves méridionaux. La fortune t'a couronné d’admirables vertus. Mais tout se dresse contre toi.

Tu as sauvé le trône, la dynastie et tous ses partisans ; tu leur as rendu un service que personne ne leur avait jamais rendu, et

1. Habitants des Bouches de Cattaro.