Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LE POËME NATIONAL DU MONTÉNÉGRO 133

cent mille Serbes musulmans. Le vladika Daniel entreprit de détruire ou d’expulser ces renégats, et il y réussit.

Pierre Petrovitch Niegoch considérait cet épisode comme le prologue de la délivrance de la race slave asservie par les Turcs, délivrance poursuivie depuis par Karageorges et Miloch. Il avait d’abord intitulé son poème La première étincelle, et ce titre était peut-être préférable à celui qui a prévalu. Dans ce poème qui compte près de trois mille vers, l’auteur ne se contente pas de mettre en scène l'épisode historique auquel nous venons de faire allusion. Il chante aussi la vie monténégrine. Un grand nombre de morceaux pourraient être détachés de l’œuvre, sans que cette suppression en compromit l'harmonie ou l'unité. Mais ce sont parfois ces hors-d’œuvre qui constituent les principales beautés du poème.

Il se divise en trois épisodes principaux: la réunion des chrétiens sur le mont Lovtchen, où ils décident de convertr ou d’exterminer les renégats ; la rencontre avec les renégats, qui refusent de revenir à la foi chrétienne, et enfin leur destruction. Ces trois épisodes sont entremélés de horsd'œuvre épiques ou lyriques qui n’ont aucun rapport avec l’action. Ainsi le poète se complait à mettre en scène des jeux ou des rites populaires. On sent très bien qu'après avoir écrit certains morceaux pour son plaisir, il les a enchâssés dans le poème au petit bonheur. Le drame manque absolument de proportions et d'unité. L'intérêt s’éparpille sur une foule de personnages et il n’est aucun d’eux qui soit vraiment le héros du poème. Ce héros, c’est le peuple monténégrin.

Comme ces peintres qui aiment à faire figurer leur portrait dans des tableaux historiques, le vladika s’est mis en scène dans la personne de l’évêque Danilo et de l’hégoumène Stéfane, qui sont les raisonneurs du drame et qui abusent parfois des tirades philosophiques.

Le poème ne nous présente que des types de prêtres ou de guerriers ; parmi les trente personnages, deux femmes