Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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et le nom serbe. La lutte doit être sans trêve. Que cela arrive qui ne peut pas ne pas arriver. Que l'enfer dévore! Que Satan moissonne; sur les tombeaux naïîtront des fleurs pour de prochaines générations. Qu'il frappe pour la croix, pour l'honneur des héros, quiconque est ceint d’un sabre étincelant, quiconque se sent un cœur dans la poitrine... Les blasphémateurs du nom du Christ, baptisons-les par l’eau ou par le sang. Extirpons la lèpre de notre troupeau. Faisons retentir un chant de terreur ! Dressons sur une pierre sanglante l'autel de la vérité.

Voilà, il faut l’avouer un langage qui, pour un évêque, n’est pas très évangélique. Mais au début du xvur siècle le Monténégro est encore dans le moyen âge et son évêque prêche la croisade contre les infidèles.

Avant d'entreprendre ce que l’on pourrait appeler les vêpres monténégrines, les guerriers décident de mander auprès d’eux les frères renégats pour les engager à renoncer volontairement à l'islam. Ils viennent en effet; mais la discussion traine en longueur. On n’arrive point à s’entendre, et le serdar Ivan Petrovitch résume la situation par une formule brutale : « L’écurie est trop étroite pour les deux chevaux. »

Justement arrive un messager avec une lettre du vizir qui invite le vladika et ses sujets à faire acte de soumission envers le sultan. Le vladika lui remet une lettre accompagnée d’une balle de fusil. Décidément, il est bien peu probable que la réconciliation s'opère entre les chrétiens et les musulmans. La nuït est venue ; les guerriers s’endorment. Quelquesuns d’entre eux parlent en songe. À leur réveil, ils se racontent leurs rêves; l’action n’avance guère ; elle importe peu au poète, qui n’a songé qu’à écrire une suite de tableaux plus ou moins pittoresques. Ainsi, un Monténégrin, retour de Venise, donne à ses compatriotes toute espèce de détails sur la vie de la République. Il leur explique même ce que c’est que le fameux Carnaval. Ses auditeurs font rôtir un mouton et le dépècent, tandis que l’un d’eux chante le récit d’un combat où beaucoup de Turcs ont péri.