Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LE POËÊME NATIONAL DU MONTÉNÉGRO 137

Puis le poète nous fait assister, — de loin, il est vrai, à une noce où les renégats fraternisent avec les chrétiens. Il exhale sa haine contre les Tures :

Qu'est-ce que ce peut être qu'un mariage chez -les Turcs, demande l'un des Monténégrins? Ces gens-là vivent comme des brutes.

— Ils n'ont aucune espèce de mariage, répond le serdar Janko; mais ils font un accord comme lorsqu'on vend une vache pour en partager le bénéfice ; ils ne considèrent pas les femmes comme les membres de la famille, mais comme des esclaves achetées.

La loi, dit un autre, est pour le Turc ce qu'il désire. Ce qu'il ne désire pas, il ne l'écrit pas dans le Koran.

Les spats, ou garçons d'honneur, chantent tour à tour des couplets où ils exaltent leurs héros nationaux. Le svat chrétien évoque le souvenir de ce Marko Kralievitch dont j'ai raconté autrefois la légende. « Bien que tu sois un courtisan des Turcs, tu es cependant notre honneur. » Puis il célèbre Miloch Obilitch qui, sur le champ de bataille de Kosovo, poignarda le sultan victorieux, et il conclut : « Le Serbe et le Turc ne seront jamais d'accord. La mer aurait plutôt fait de se dessaler. »

À cet épisode de noces qui présage des intentions peu pacifiques succède une scène élégiaque. Des pleureuses apparaissent sur la scène; elles reviennent des funérailles du guerrier Bratitch, tué par les Turcs. A leur tête est la sœur du défunt ; elle exhale sa douleur dans un vocero farouche, saisit un sabre et se tue. Les habitants chantent l'éloge du défunt. C'était un héros incomparable. Il avait coupé à lui seul dix-buit têtes de Tures !

Voici maintenant une réunion de chefs et de guerriers. Ils viennent de recevoir une lettre écrite par un pope d’une tribu voisine ; aucun d’eux ne sait lire. Ils donnent la missive à déchiffrer à un pope qui n’en sait pas plus qu'eux. Pour exercer son ministère, il n'a besoin que de connaître par cœur les textes liturgiques. Les guerriers se décident alors à consulter une sorcière ; mais ils découvrent qu’elle a été