Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LE POÈME NATIONAL DU MONTÉNÉGRO 139

qu’elle n'engendre que des lépreux ! Que sa trace disparaisse d’icibas! Qu'aucun fusil ne soit suspendu dans sa maison! Qu'il n’abatte aucune tête d’ennemi. Que sa maison soit privée d'honneur !

Celui qui aura trahi ses frères, qu'il n'offre ni le pain ni le vin à l’église! Que sa bûche de Noël soit ensanglantée ! Que son jour de fête soit marqué par le sang!

Celui qui aura trahi les héros, que la rouille tombe sur sa maison et qu'à ses funérailles les pleureuses mentent en chantant ses louanges !

La scène change. C’est la nuit de Noël : le vladika Danilo et l'hégoumène Stéphane, entourés de jeunes gens, sont assis auprès du foyer où brûle la büche traditionnelle. Ils établissent le bücher suivant les rites des ancêtres, l’arrosent de vin. L’hégoumène se fait apporter une gouzla et chante. Il a célébré cette grande fête de la chrétienté à Bethléem, au mont Athos, à Kiev, mais jamais il ne l’a célébrée avec tant de joie qu'aujourd'hui. ;

Et il se met à philosopher sur ce thème banal, que la paix n’est pas de ce monde, et sur cet autre qui ne l’est pas moins : « Homo homini lupus. » Ici encore, l’auteur jette dans le moule épique des pesmas ‘, des idées qui conviendraient mieux aux alexandrins de notre tragédie pseudoclassique. Le vladika Danilo conclut avec résignation :

« Le feu est bon et le vin encore meilleur : tu t’es, mon fils, quelque peu échauflfé, et tu passes le monde au crible. »

L'hégoumène abandonne ses thèmes philosophiques pour revenir à la réalité, c’est-à-dire au péril qui menace les Monténégrins du côté des Turcs ; puis les interlocuteurs se rendent à l’église pour fêter la Noël.

Au moment où ils sortent, une fusillade terrible éclate dans la montagne. Des guerriers arrivent ensanglantés ; ils racontent qu'ils viennent de massacrer tous les Turcs quise sont refusés à faire le signe de la croix. Ils ont brülé les

1. Chants épiques serbes.