Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA GUZLA DE MÉRIMÉE 143

Venise, en 1774, et dont une traduction française en deux volumes parut à Berne, en 1778. L’abbé Fortis voyageait surtout en naturaliste et en géologue ; mais il ne négligeait pas les détails de mœurs. Suivant une mode très répandue au dix-huitième siècle, son livre est rédigé sous la forme d’un recueil de lettres adressée à divers personnages plus ou moinsillustres. La première, adressée à Monseigneur Jacques Morosini à Venise, est un recueil d'observations relatives à la géologie et à la faune de la Dalmatie.

La seconde, adressée à mylord comte de Bute, traite des mœurs des Morlaques. Ce qu’on appelait dans ce temps-là les Morlaques, ce sont les indigènes slaves de la Dalmatie, ceux que nous appelons aujourd’hui avec plus de justesse, les Serbo-Croates, et qui constituent le fond même de la population.

Dans cette lettre, l’auteur traite successivement — non sans commettre parfois quelque erreur fort excusable de l’origine des Morlaques, de l’étymologie de leur nom, des différences qui existent entre les Morlaques et les habitants de la mer et des îles,'des haïduks, des vertus morales et domestiques des Morlaques, des talents et des arts des Morlaques, de leurs superstitions, de leurs manières, de l'habillement des femmes (des gravures qui nous semblent aujourd'hui un peu grotesques accompagnent ce paragraphe), du mariage chez les Morlaques, de leurs aliments, des meubles, des cabanes, de l'habillement, des armes, enfin de la poésie, de la musique, des danses et des jeux, de la médecine et des funérailles. L'auteur donne en appendice à ce chapitre, qui se lit encore aujourd’hui avec intérêt, le texte et la traduction d’une chanson illyrienne, la chanson sur la mort de l’illustre épouse d'Asan-Aga, chanson que Mérimée a reproduite dans son volume, dont elle est le seul morceau authentique. Dans une note assez perfide, il fait allusion à la version de l’abbé Fortis et il ajoute : « Venant après lui,

1. Morlaque représente primitivement une forme mavroylah, c’est-à-dire Valaque (chrétien du rite grec) noir ; noir, est une épithète de mépris qui traduit le turc Kara.