Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

Lu SERBES, CROATES ET BULGARES

fait retentir ta gloire, ce peuple dont tu aimes la langue, 6 noble prince... »

Quand Gundulié parle de la reconnaissance de tous les peuples slaves pour le prince qui daigne apprendre un de leurs dialectes, il abuse singulièrement du droit que les poètes ont d’exagérer. Jusqu'au xx° siècle les œuvres de l’école dalmate ne seront guère connues que des riverains de l’Adriatique. Les Serbes et les Bulgares asservis aux Turcs sont généralement illettrés; les Tehèques, les Polonais et les Moscovites ignorent absolument l’idiome de la Dalmatie.

L'Osmanide est une épopée romanesque assez difficile à analyser : les négociations que le sultan a entamées avec la Pologne donnent lieu à des récits de voyages fantastiques ; le poète met en scène deux amazones, l’une slave, l’autre musulmane, qui se battent en duel comme les héroïnes du Tasse. Il transporte tour à tour le lecteur dans la Péninsule balkanique et à Varsovie; il descend aussi dans les enfers et nous fait assister aux conseils du démon, qui, en sa qualité de personnage satanique, tient naturellement pour les païens contre les Polonais. Les chants XIV et XV du poème ont malheureusement disparu. Ils ont été suppléés au xix* siècles par deux poètes croates, Sorkotevié et Mazuranié, qui les ont imaginés chacun au gré de leur fantaisie. Je citais tout à l’heure les fantaisies de Nodier sur la littérature illyrienne. Voici une autre erreur qui n’est pas moins plaisante, Un savant polonais qui ne manquerait pas d’un certain talent, Christian Otrowski, s'est occupé du Gundulié dans ses Lettres slaves'.

Or, pour faire admirer de ses lecteurs le génie de Gundulit, il n’a rien trouvé de mieux que de traduire un des chants interpolés au xix° siècle par Sorkotevié. Il n'y a que la foi qui sauve. IL faut aussi beaucoup de foi pour croire tout ce que chante Gundulié. Il chante le prince royal de Pologne Ladislas ; il en fait le héros de la bataille de

1. Christian Ostrowski, Lettres slaves, Paris, Amyot, 1857.