Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LA LITTÉRATURE SERBO-CROAÂTE 49

nieux de leurs voisins serbes. La même langue littéraire avec deux alphabets différents s’imprime aujourd'hui à Agram et à Belgrade. En 1842 fut fondée la Matica il yrienne, à l'instar de la société analogue créée en 1826 par les Serbes de Novi-Sad pour la publication de livres nationaux. On sait comment ce mouvement en apparence purement littéraire aboutit aux conséquences les plus graves en politique, comment en 1848 les Croates se prononcèrent nettement contre la révolution hongroise et prétèrent un concours efficace à la dynastie, qui avait alors sensiblement besoin d'être secourue’. Gaj à Agram, Havliezek à Prague, Kossuth à Pesth furent les trois initiateurs des mouvements parallèles dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Après avoir si brillamment débuté, Gay rentra tout à coup dans l'obscurité ; il se mit au service du gouvernement autrichien, fut oublié de sa nation et finit par mourir dans la misère. Lorsque j’assistai en 1867 aux fêtes de l'inauguration de l’Académie d’Agram, je le cherchai en vain dans la foule et fut tout surpris de constater qu'il ne jouait aucun rôle dans les cérémonies officielles. La graine qu'il avait semée leva drue et féconde. L’intensité de la vie littéraire à Agram fut telle qu’elle absorba jusqu’à des éléments voisins. Ainsi le poète Stanko Vraz (1810-1851), né chez les Slovènes et qui avait débuté par écrire dans leur langue, adopta l’idiome croate. La noblesse, qui jusque-là se modelait sur celle de Vienne, et parlait volontiers allemand dans ses salons, se reprit à aimer la langue des ancêtres. En 1838, un gentilhomme, le comte Draëkovic, écrivit — en allemand — une brochure: Eir Wort an Illyriens hochherzige Tôchter über die älteste Geschichte und Regeneration thres Vaterlandes (Un mot aux nobles filles de l’Ilyrie sur l’histoire la plus ancienne et la régénération de leur patrie), qui réveilla chez ses belles compatriotes le patriotrisme qui avait si longtemps sommeillé. Je n’insiste pas ici sur le rôle que les Croates jouèrent dans la période ré-

1. Voir mon Histoire d'Autriche, chap. x1x.