Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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Les deux Églises n'étaient pas, vis-à-vis des Ottomans, dans la même situation. Le protecteur naturel du catholicisme, c'était la maison d'Autriche qui était allemande. Pour les Tures, le catholicisme était une religion allemande, c’est-à-dire étrangère et hostile. Il n’en allait pas de même pour l'Église orthodoxe. Au moyen âge et au début des temps modernes, la Russie n'existait pas encore au point de vue international. L'Église grecque orthodoxe c’était l'Église indigène, celle qui n'avait rien à attendre de l'étranger. Le gouvernement de Constantinople lui montrait une bienveillance particulière. A la suite de l’écroulement définitif de l’État serbe (1463), l'Église serbe n’avait plus de patriareat. Ce patriarcat fut restauré par les Tures en 1557 dans des circonstances fort curieuses et peu connues. Un jeune novice du monastère de Milechevo avait été enlevé par les janissaires et emmené à Constantinople, où il se convertit à l'Islam et fit une belle carrière sous le nom de Sokalli’. Il devint Kapoudan pacha (amiral), beylerberg de Roumélie et en 1565 grand vizir. Il n’oublia ni son pays ni sa famille. IT reconstitua le patriarcat serbe d’Ipek (Peé) au profit de son frère qui était devenu évêque, et ce patriarcat dura jusqu'à l’année 1766, époque où il fut absorbé par le patriarcat grec de Constantinople.

Le clergé orthodoxe du patriareat ne valait pas les Franciscains de Bosnie et son action morale était moins considérable que la leur. Les moines orthodoxes ne remplissaient pas de fonctions ecclésiastiques et menaient une existence plutôt scandaleuse. Beaucoup de régions étaient sans paroisse, et, faute de curé, de jeunes couples étaient obligés de se marier devant le cadi. La situation empira encore lorsque, vers Les débuts du xvr siècle, Le patriarcat de Constantinople réussit à imposer des évèques grecs. Au milieu de cette décadence générale, quelques anciens monastères, fondés par les princes serbes, conservèrent la tradition na-

1. Il s'appelait en réalité Sokolovic; Sokol, dans toutes les langues slaves, veut dire faucon.