Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

LOUIS GAJ ET L'ILLYRISME 79

temporains étaient convaincus — bien à tort — que les anciens Illyriens étaient des Slaves. Un certain nombre de Slovènes, abandonnant leur dialecte, se groupèrent autour de Gaj, notamment le poète Stanko Vraz, qui vint en 1838 s’établir à Agram et fut l’un des meilleurs poètes croates. Cette même année Ga] réussit à obtenir un privilège pour la fondation d’une imprimerie qui devint le foyer de l'{yrisme.

Il ne se contentait pas d’agir par l’organe de ses deux journaux. Il révait d'organiser une société littéraire et scienüfique qui n'existait pas encore dans son pays. Le souverain encourageait ses efforts et lui envoyait en signe de satisfaction une bague de grand prix. En 1841, Kollar visitait Agram, se réjouissait des progrès de l’Illyrisme et écrivait dans ses notes de voyage : « Si nous autres Slaves nous avions un Panthéon national, comme les Romains et les Grecs, jy placerais le buste de Gaj et je poserais une couronne sur sa tête. »

Cependant les Magyars s’alarmaient des progrès de l’Illyrisme et affectaient de voir chez ses propagateurs des agents soudoyés par la Russie. Gaj, sans avoir recherché cet honneur, devenait en quelque sorte le chef, l’homme représentatif de la nation, — ce que fut Deak par exemple pour la Hongrie. C’est alors qu'il écrivit ces paroles mémorables qui semblent constituer tout un programme politique :

« Les Magyars ne sont qu'une île qui flotte sur le grand océan slave ; je n’ai créé ni cet océan ni ses flots; mais que les Magyars fassent bien attention de ne pas déchainer cet océan, de peur que les flots ne passent par-dessus leur tête et que l’île ne s'engloutisse. »

Par cette attitude Gaj s'était fait naturellement des ennemis, non seulement parmi les Magyars, mais aussi parmi les partisans qu'ils avaient chez ses compatriotes. On racontait qu'il voulait se faire nommer roi d'Illyrie. En 1843, le nouveau ban interdit l'emploi du nom d’Illyrie et des armoiries illyriennes. Le journal redevint La Gazette nationale et L’Aube reprit son ancien nom: L’Aube croate, slavonne, dalmate. Gaj fut abandonné par un certain nombre de ses