Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

k J. CART

comme d’une enfant « de la nature, bonne, très jolie, leste, gaie, ayant de l'esprit, mais peu de penchant à appliquer sa facilité ». Elle n'avait pas encore sept ans. Le fils, le « jeune comte Grégoire, l'unique rejeton de la famille », était doué d'une très jolie figure et d'une physionomie des plus intéressantes. Agé de vingt ans, il était d'une extrême turbulence, ce qui était d’un fâcheux augure pour l'avenir.

Peu de semaines après son arrivée à Saint-Pétersbourg, Mie L., jugeant avec un esprit plus reposé les nobles personnages à la vie desquels elle allait être intimement liée, consignait dans son journal les remarques suivantes : « Le comte assure à tout le monde que je suis une personne aimable et de premier mérite. Je crois que c'est ainsi qu'on vit à la Cour. » Et, quant à la comtesse, elle ajoute : « Je suis toujours assez bien avec elle, mais aussi je commence à me douter que nous ne serons jamais mieux et qu'il n'existe pas entre nous ce rapport de caractères qui fait qu'on se lie chaque jour de plus en plus. »

Dans l'accomplissement d'une tâche aussi importante et aussi délicate que l'éducation d'une jeune fille destinée à occuper une grande position dans le monde, M'e L. ne devait pas rencontrer toujours, chez les parents de son élève, l'appui intelligent qu'elle était en droit d'attendre d'eux. Malgré les qualités qu'elle signale chez le comte et la faveur assez habituelle dont elle jouit auprès de lui, elle est constamment entravée dans ses plans d'éducation par la mobilité d'esprit et l'impressionnabilité du père de son élève, plus encore par la superficialité et les caprices de la mère. Néanmoins, dans ce milieu si différent de celui qui avait été le sien sur les rives du Léman, Mie L. déploya toujours la plus grande fermeté. Avec un tact parfait, elle se montra cependant très indépendante, très républicaine sur ce théâtre des grandeurs mondanes, et elle conserva une dignité de vie et de ton à laquelle chacun devait rendre hommage. Éprouvant un grand besoin d'affection. elle ne rencontra pas toujours ce qu’elle cherchait. A peine arrivée à Saint-Pétersbourg, elle écrivait déjà : « On dit qu'il ne faut pas faire fond sur l'amitié des Russes, qu'ils sont légers et inconséquents. Que ceux qui connaissent ma façon de penser jugent à présent de mon tourment à l’ouïe de pareils propos que je n’entends que trop souvent répéter. »