Théveneau de Morande : étude sur le XVIIIe siècle

L'OPÉRA. 133

s’en indigne : « nos meilleurs acteurs, écrit-il, fétent une danseuse d’Opéra; et que nous rapportent-ils? Une constitution fatiguée, qui déguise totalement les rôles qu’ils ont à repré-

respondance) raconte la brouille de Mile Guimard avec Fragonard, le décorateur de son temple :

« L'hôtel de Mile Guimard est presque achevé; si l'Amour en fit les frais, la Volupté même en dessina le plan, et cette divinité n'eut jamais en Grèce un temple plus digne de son culte. Le salon est tout en peintures; Mlle Guimard y est représentée en Terpsichore, avec tous les attributs qui peuvent la caractériser, dela manière du monde la plus séduisante. Ces tableaux n'étaient pas encore finis lorsque, je ne sais à quel propos, elle s’est brouillée avec son peintre, M. Fragonard; mais la querelle a été si vive qu'il a été renvoyé, et qu'on a fait marché avec un autre artiste. Depuis, curieux de savoir ce que devenait l’ouvrage entre les mains de son successeur, M. Fragonard a trouvé le moyen de s’introduire dans la maison. Il pénètre jusque dans le salon sans y rencontrer personne. Apercevant dans un coin une palette et des couleurs, il imagina sur-le-champ le moyen de se venger. En quatre coups de pinceau il efface le sourire des lèvres de Terpsichore et leur donne l'expression de la colère et de la fureur, sans rien ôter d’ailleurs au portrait de sa ressemblance. Le sacrilège consommé, il se sauve au plus vite, et le malheur veut que Mie Guimard arrive elle-même quelques moments après avec plusieurs de ses amis qui venaient juger les talents du nouveau peintre. Quelle n'est pas son indignation en se voyant défigurée à ce point! Mais, plus sa colère éclate, plus la charge devient ressemblante. Que de jolies découpures pour M. Huber! Les épigrammes d’un peintre valent bien quelquefois celles d’un poète. ».

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