Théveneau de Morande : étude sur le XVIIIe siècle

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dépensa, en trois mois, plus de 800,000 livres, sans qu’elle lui en sût le moindre gré. Le scandale fut si grand que le roi exila le duc dans ses terres. Quant au public, il chansonna :

Bouillon est preux et vaillant : [1 aime Laguerre. A tout autre amusement Son cœur la préfère : Ma foi! vive un chambellan Qui toujours s’en va disant : Moi j'aime Laguerre, 6 gué, Moi j'aime Laguerre 1.

Les étrangers aussi accouraient à la curée galante, avides de plaisirs et semant l'or à plei-

fait banqueroute. Quand il fut bien ruiné, l'actrice le mit à la porte (février 1781). Mile Laguerre mourut le o février 1783. « Elle fut regrettée, disent les Mémoires secrets, des amateurs de l'Opéra, pour la belle qualité de sa voix et pour sa manière de chanter pure et flatteuse. » Au moral, c'était un type de perversité. Dans ses derniers instants, elle avait fait appeler le curé de Saint-Nicolas des Champs. Le pasteur la trouva dans une malpropreté dégoûtante et la croyait sans ressources. Elle venait simplement de liquider le mobilier donné par son dernier amant; elle laissait 300,000 livres de billets noirs et 30,000 livres de rentes. Ses camarades de l'Opéra disaient qu’elle ne s'était jamais débarrassée d’un grand vice : le goût du vol.

1. V. dans l’Espion anglais, t. Il, p. 173, le Dialogue entre le comte de Lauraguaïs etmilord All Ear, au sujet des filles les plus celèbres de la capitale. Morande n’a fait que copier. Conf. Gazette noire, p. 169 et suiv.