Théveneau de Morande : étude sur le XVIIIe siècle

306 THEVENEAU DE MORANDE.

cynisme, il se rend indispensable au gouvernement qu’il a bravé, devient le conseiller ordinaire de la police de Louis XVI et l'un des pourvoyeurs les plus dangereux de la Bastille. Entre temps, il promène sa lanterne de Diogène sensuel sur tous les coins équivoques de la société qui l’entoure et dévoile les hontes du xviu® siècle, en homme qui connaît par expérience ce que le vice a de plus raffiné. Noblesse, clergé, magistrature, finance, toutes les classes comparaissent à leur tour devant le libelliste impitoyable. Le théâtre n’a pas de secrets pour lui; il peint comme personne le monde interlope des coulisses et des boulevards; et, si l’on ne craignait pas de le suivre, Dieu sait où nous mènerait ce précurseur du naturalismel Il sait tout, car il a tout vu. Il connaît sur le bout du doigt l’histoire des alcôves et déshabille les princes comme les courtisanes. Cet homme étrange joue avec une aisance incomparable les rôles les plus divers; tantôt la terreur, tantôt lauxiliaire précieux du pouvoir; défiant les plus formidables puissances, la Du Barry, Voltaire, Cagliostro, Mirabeau, Robespierre. Il marche en riant à travers le monde, tendant la main à quiconque a de l'or, côtoyant les abîmes avec uneétonnante souplesse ; méprisé, maisredouté; perdu de vices et faisant la leçon aux plus ver-