Trois amies de Chateaubriand

MADAME RÉCAMIER 137

souvenirs. Des rôdeurs, une nuit, les accostèrent, réclamant bourses et bijoux. A demi mortes de frayeur, elles se laissèrent dépouiller. Mais le chef de ces gaillards, bandit courtois et qui sait parler aux dames, fut tout à coup frappé de la beauté que les étoiles lui révélaient sur les visages d’Hortense et de Juliette. Galant, il enjoignit à ses hommes de restituer les objets volés; mais il exigea par contre, que chacune des deux femmes accordât un baiser à chacun des voleurs, et à lui nommément. Ce qu’elles firent, sans nul doute, avec chagrin.

Or, un jour, en 1821, à Berlin, comme Chatcaubriand y était notre ambassadeur, un jeune secrétaire d’ambassade, le chevalier de Cussy, racontait cette histoire à l’un de ses collègues. Et de rire, tous deux! Et de rire si bien et si fort qu’ils n’entendirent pas que la porte s’ouvrait et que lambassadeur était là, qui lui les entendait. Il s’écria, et sèchement :

_— Eh! messieurs les jeunes gens, ce ne sont en effet que des voleurs qui peuvent se vanter d'avoir embrassé Mme Récamiert!.…

Il ne plaisantait pas; il était indigné : en 1821, il avait le droit et sans doute avait-il le cœur d’être

jaloux de Juliette. % * * Après la merveilleuse épiphanie de 1801, s’il fut

1. Souvenirs du chevalier de Cussy, publiés par le Comte Marc pe GErmiNy (Paris, Plon, 1909), tome I, p. 50. 42;