Trois amies de Chateaubriand
196 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND
par un corridor noir; et, dit Chateaubriand! « je prétendais que ce vestibule était éclairé d’un jour doux». Dans la chambre, il y avait une bibliothèque, une harpe,un piano, le portrait de Mme de Staël, une vue de Coppet au clair de la lune. Et, sur les rayons de Ja bibliothèqte, on devine les ouvrages de René; mais les rives du lac Léman que la lune éclaire sont le souvenir du prince au cœur de rubis. Sur les fenèêtres, des pots de fleurs; et la cime d’un acacia montait jusqu'au niveau des croisées. Les fenêtres donnaient sur les jardins de l'Abbaye. Allaient et venaient, avec simplicité, nonnes et pensionnaires. Le ciel faisait un fond sur lequel se dessinaient et les clochers pointus des alentours et les collines de Sèvres. Des oiseaux avaient leur nid fragile entre les lattes des jalousies.
Chateaubriand arrivait à la fin du jour. Quelquefois, Juliette se mettait au piano; et, à la ritournelle, se mêlait le tintement de l’angélus : Roméo et Juliette, selon la musique élégante et chantante de Steibelt, invoquaient la nuit délicieuse, tandis que la cloche pleurait le jour qui meurt, il giorno pianger che si muore. René aimait cette heure mélancolique; il sy apaisait en regardant le doux crépuscule musical. Et, tous les deux, Juliette et lui, rêvaient, devant le soir du jour, à leur soir.
Juliette se dévoua complètement, avec une assiduité attentive, à René. Elle veilla sur lui.
1. Mémoires d’outre-tombe, tome VIII, p. 277. Cela, et aussi les détails qui suivent.