Un Agent des princes pendant la Révolution : le Marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne 1790-1793 : d'après des documents inédits

392 LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

Il se livrait ainsi ostensiblement à l'étrange commerce qu'il avait entrepris: il trafiquait de la vie des gens avec l'inconscience d’un homme qui comprend son époque, qui sait que le bon temps ne durera pas toujours et qui se hâte d'en proliter. Il vit «en demi-dieu! » à Digoin, se passant tous ses caprices, forçant un certain charpentier, nommé Harpet, son voisin, à lui céder sa maison, qu'il trouve plus commode que celle qu'il habite, rançonnant ses compatriotes ébahis de tant de cynisme et traitant la province en pays conquis. Un court billet, écrit par un des malheureux qu'il pressure, en dit plus long que tous les récits :

Remets à Lalligand les fauteuils qu'il réclame et . D tout ce qu'il demandera 2.

Mais cet étonnant proconsulat devait avoir une fin. La mort de Bazire, compromis avec Chabot et Fabre d'Eglantine dans les spéculations de la Compagnie des Indes, porta un coup sensible au crédit de Lalligand. Ne le sentant plus soutenu en haut lieu, estimant naïvement que « la probité est enfin à l’ordre du jour », les sociétés populaires de Digoin et de Charolles eurent le courage de dénoncer à la Convention « ce monstre que la

1. Dénonciation de la Société populaire de Paray. 2. Archives nationales, W, 409.