Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
14 CHAPITRE PREMIER.
et romaine. Jeune, il emprunta à Plutarque et à Cicéron la passion théorique de la liberté et l'horreur de toutes les tyrannies. Vieux, il leur devait encore dans ses écrits un goût de citations et d’allusions quelque peu pédantesque et nullement aristocratique, et, durant sa vie agitée, il n'a jamais été ni plus heureux ni mieux à sa place que devant une table de travail, en tête à tête avec les historiens et les philosophes de l'antiquité.
Doué d'une intelligence vive, il révéla de bonne heure un caractère difficile, dont le fonds était l'amour-propre et un penchant marqué à tout tourner au tragique et à l'exagération. Un sentiment précoce d'indépendance lui faisait traiter en importuns ou en ennemis ses parents les plus proches, sa mère, sa sœur Mme de Viennois, son oncle et protecteur le comte de Saint-Priest. Avec ce dernier il se brouilla plus d’une fois, l’accusant d'ambition, d'orgueil et d'égoïsme; mais quelque intérêt personnel de part et d'autre finit toujours par les réconcilier. La vieille comtesse d’Antraigues, encore peu de temps avant de mourir, repassait mentalement les défauts insupportables de son fils et les lui dénonçait de loin avec une tendre et amère franchise :
« Ab! si je pouvais vous refondre, je vous pétrirais de toute autre manière; de l'esprit à lèche-doigt, mais sur toute chose amour-propre raisonnable sans le moindre orgueil.. Je vous crois presque toujours agité; vous ne vous contentez pas de mépriser le genre humain, mais vous haïssez les trois quarts de ceux que vous connaissez, et vous les méprisez... Si vous aviez eu par moitié en jugement ce que vous avez en esprit, nous aurions été vous et moi plus heureux... Vous êtes toujours en garde contre des ennemis que vous n'avez pas et vous vous rongez à combattre des chimères... Si l’on disait du