Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
PREMIÈRES INTRIGUES (1796-1799). 89
l'opposé de tout cela. Il négocie, il plaïde, il voyage pour la cause d’un roi détrôné; mais c’est d'ordinaire un important, d'autant plus pénétré de sa valeur qu'il la croit supérieure à sa situation et à celle de son maitre. Il dédaigne ou il hait ses collaborateurs, les traite de brouillons, d'intrigants, presque de traîtres, lui seul ayant la probité, la clairvoyance, par conséquent l'espoir du succès et le droit aux récompenses. Obligé de travailler sans bruit, il ne peut attester les qualités et les moyens qu'il s’attribue que par des indiscrétions ou des exagérations. Il s’estime un sauveur dans l'avenir, sauf à descendre dans le présent, afin de justifier ses visées, au rôle d’espion. Ses idées, s’il en trouve, servent aux secrets desseins des chancelleries étrangères. Ses talents, s’il en a, se consument dans des publicalions anonymes, des articles sans écho en Europe, des mémoires dont ses . supérieurs d'occasion ne tiennent guère compte. En répandant beaucoup d'argent et d'encre, il croit pouvoir conduire les événements; peu estimé d’ailleurs de ceux qu'il sert, il leur rend leur dédain par toutes les formes de l’ingratitude : calomnies, plaintes amères et même vulgaires lenlatives de chantage.
Dans ce métier, où l'intelligence est parfois en raison inverse de la probité, il y a des degrés, une sorte de hiérarchie. En bas, se trouve l'agent purement vénal, prêt à tout, même à trahir son maitre de la veille moyennant salaire; plus haut, est l'agent qu'une conviction sincère d'accord avec ses intérêts a mis au service d'un homme ou d’un parti; plus haut encore, est l'agent qui touche au diplomate, qui s'autorise, au moins en paroles, de certains principes, de certaines traditions.
D’Antraigues se rangea parmi ces derniers; il proclama, bien haut son dévouement à un système politique dont