Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
90 CHAPITRE TROISIÈME.
le roi n’était qu'une des pièces, et où la patrie, au sens moderne du mot, n’entrait pour rien. « La patrie, a-t-il écrit, est un mot vide de sens quand ce mot n'offre pas la réunion des lois sous lesquelles on a vécu; voilà ce qui forme la patrie. La patrie bornée aux territoires ne dit rien au cœur des hommes; aimer la patrie quand elle perd ses lois, ses usages, ses habitudes, c’est une idolàtrie absurde, c'est celle des Égyptiens qui adoraïient des brutes. La France sans roi n’est pour moi qu'un cadavre et on n'aime des morts que leurs souvenirs (1). »
Ce théoricien de la monarchie française commença de 1790 à 1792 sa carrière de politicien cosmopolite. Il mena alors entre le Piémont, le Milanais et la Suisse une existence agitée, errante et mystérieuse. Un siècle auparavant, son arrière-grand’tante, Philiberte d'Antraigues, était venue dans le pays de Vaud épouser Benjamin Micheli, seigneur de Dullit; il y trouva donc des parents pour l’accueillir et en même temps l'idée du pseudonyme qui favorisa le secret de ses correspondances et de ses incessants voyages. Sa femme et son fils restaient cachés à Mendrisio; quant à lui, déguisé sous le nom de Marco-Paolo Philiberti, il était comme la mouche bourdonnant sans cesse sur la frontière francaise aux oreilles des Piémontais, des Suisses ou des émigrés, et s’épuisant à faire franchir les Alpes et le Jura au coche embourhé et disloqué de la contre-révolulion.
Parmi les adversaires de la France nouvelle, il se montra d'abord partisan du système intérieur ; en d’autres termes, il n’admettait au combat contre la Révolution, à côté de ses compatriotes, que les princes parents et alliés des Bourbons, et aussi les Suisses, nos clients
(1) Note datée de 1796. (B. M., Add. mss. 8055, P 62.)