Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

PREMIÈRES INTRIGUES (1790-1792). 91

deux fois séculaires. Il voyait dans cette intervention de uissances liées au roi par la Paix perpétuelle de 1516 ou le Pacte de famille de 1761 un moyen de neutraliser l'influence des ennemis naturels et héréditaires de la France. Il protestait encore contre toute immixtion des grandes puissances européennes dans nos affaires. « Ils (nos ennemis) ne seront pas assez impolitiques pour nous distraire du soin de nous déchirer de nos propres mains en nous présentant des armes étrangères qui pourront nous asservir (1). » Enfin il déclarait que l’Espagne, en se mettant à la tête de la croisade monarchique, se relèverait elle-même, « car ce n’est pas à nous seuls, disait-il avec raison, qu’en veut la politique des Cours, c’est à la prépondérance de la maison de Bourbon en Europe ». Pour décider le roi Charles IV à jouer ce rôle, d’Antraigues s’aboucha avec Las Casas, l'envoyé espagnol à Venise, et par ce canal fit passer à Madrid, sous la parure de son éloquence, les demandes de son maître, prisonnier aux Tuileries.

Las Casas a tenu pendant quelques années une très grande place dans la vie de d’Antraignes. Il se lia avec lui en Italie d'une amitié étroite, et lui resta attaché jusqu’à sa mort. À l'exemple des émigrés français, il poussait en matière politique l’ardeur jusqu’à l’aveuglement, et parfois aussi la liberté jusqu’à l'irrévérence. Il y avait en lui, sous le diplomate et l’homme de parti, un sceptique jetant par-dessus bord, dans le secret de sa correspondance, les préjugés inséparables de sa situation. Il souhaitait en public le succès des paladins de Coblence et leur entrée triomphante à Paris, sauf à murmurer à l'oreille de son ami : « Croyez-vous de bonne foi que

(1) Quelle est la situation de l’Assemblée nationale? p.17.