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leur. Six ans plus tard, Philoclès Regnier, comédien et administrateur de la Comédie-Française, la fait entrer au répertoire: la première représentation a lieu le 15 janvier 1847, à l’occasion du 225ème anniversaire de la naissance de Molière. Mais l'opinion reste réservée. Le critique Francisque Sarcey, par exemple, prétend qu’il n’y a pas de comédie plus mal faite: Les personnages passent comme des héros de lanterne magique; ils disent leur mot et disparaissent; on ne les revoit plus; Us étaient inutiles à l'action. Au XXe siecle, le premier grand metteur en scène de Don Juan est Vsevolod Meyerhold qui monta la pièce le 9 novembre 1910, au Théâtre Impérial Alexandrinski, à Saint-Pétersbourg. En France, Louis Jouvet à l'Athénée, en 1947, puis Jean Vilar au T.N.P., en 1953, ont donné à la pièce sa juste dimension. Néanmoins, Don Juan reste une des comédies de Molière le plus rarement jouées: 363 représentations à la Comédie-Française jusqu'en 1982, contre 3.014 représen-
tâtions de Tartuffe. Rappelons que Benno Besson a mis en scène Don Juan en allemand au Vokstheater de Rostock en 1952, dans une traduction dont il était l’auteur avec Elisabeth Hauptmann et dans une adaptation écrite en collaboration avec Bertolt Brecht. Il reprit cette version au Berliner Ensemble en 1954, à l'occasion de l’inauguration du Theater am Schiffbauprdamm, puis, en traduction italienne, au Teatro Bellini de Palerme en 1964. Pour sa mise en scène au Deutsches Theater à Berlin-Est en 1968, il revint au texte original qu’il traduisit avec Heiner Müller. C’est cette taduction qu'il mit en scène au Burgtheater à Vienne, en 1986. Benno Besson aborde donc pour la première fois en français cette comédie unique dans l’oeuvre de Molière. □
Une dramaturgie baroque On est assez loin des normes habituelles de la dramaturgie classique. Et l'on conçoit que des gens de l’espèce de Boileau aient peu goûté cette piece a la structure àclatée, cette sorte de »monstre« qui se joue des »unités«, qui use à son gré du lieu et du temps,, et dont l’intrigue est tissée d'une collection de fils divers, une oeuvre dans laquelle Molière semblait renouer avec le désordre baroque à la mode dans la première moitié du siècle. Peut-être aussi que, fouaillé par le thème donjuanesque, son génie a pris plaisir à se libérer pour une fois des contraintes de la dramaturgie française, et à renouer avec les structures des chroniques
théâtrales espagnoles (qu'il pouvait connaître), et à retrouver, sans le savoir, le foisonnement des grandes oeuvres élisabéthaines (qu'il ne connaissait pas). Ce qui est sûr, c’est que dans cette oeuvre qui mêle les genres et les registres, Molière joue avec les formes théâtrales de son temps, il les recense, il désigne les codes, il joue, en somme, - qu’il y ait pris ou non malin plaisir - avec la dramaturgie de l’époque. Tragédie, tragi-comédie, farce, pastorale, pièce à machines, bouffonnerie à l'italienne et lazzi de tréteaux, tous les langages scéniques dialoguent dans cette oeuvre qui habille un document social (rapports de classes, luttes idéologiques) dans les oripeaux du mystère religieux: un drame mystique de Calderon joué dans la dérision. Car, tout en jouant avec les codes tréâtraux du temps, Molière a choisi délibérément de privilégier un registre: le registre comique. Ce sombre drame s'intitule comédie, et la pièce est tout entière tissée de rires. C’est là le coup de génie, qui donne à la pièce son mystère, son énigme, son pouvoir in-
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