Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 83

se sont mêlés parmi ces ouvriers, et, pleins de zèle,

ils ont travaillé la terre pour la première fois de leur

vie. Les femmes même, enflammées du feu divin du patriotisme, roulaient des charretées de terre. Des femmes! oui, des femmes, même fort honnêtes. M. de La Fayette s'est rendu au Champ de Mars et ayant [pris une bêche, travailla pendant deux heures avec ses aides de camp. Quel général! aussi comme il est aimé! béni! loué! Tu dois juger combien les ouvriers sont surpris, combien ils ont à rougir, s'ils le savent toutefois. On voulut faire travailler un pauvre abbé qui se trouvait là, et pour lui faire trainer une brouette fort lourde, on fut chercher une corde. Notre ecclésiastique crut voir arriver l'instrument de son supplice, il devint pâle et, saisi de frayeur, il demeurait comme enraciné. Il rappela cependant ses esprits, voyant qu'on ne l’attachait que sur les épaules, et travailla avec ardeur pendant deux heures. Jamais eselave chez les Turcs n'eut un air plus soumis: le monde souriait. On le priacependant de laisser l'ouvrage ; il jeta là son licou et se promettant bien de ne plusrevenir au Champ de Mars, il court encore. »

Tous les contemporains parlent de cet enthousiasme extraordinaire :

« On ne vit peut-être chez aucun peuple cet étonnant et à jamais mémorable exemple de fraternité, dit Mercier. c'est là que j'ai vu cent cinquante mille citoyens de toutes les classes, de tout âge et de tout