Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 85

du Palais-Royal, la robuste harengère traine la brouette remplie par la femme élégante et à vapeurs... L'âme se sentait affaissée sous le poids d’une délicieuse ivresse à la vue de tout un peuple redescendu aux doux sentiments d’une fraternité primitive. »

La fête du 14 juillet fut unique par l'enthousiasme universel qu'elle excita; chacun oubliait le passé pour ne songer qu’à un avenir pur et sans mélange.

Les fédérés, au nombre de soixante mille, partirent de la place de la Bastille pour se rendre aux Tuileries et au Champ de Mars; sur tout le parcours ils reçurent les acclamations d’un peuple immense répandu dans les rues, sur les quais, placé aux fenêtres des maisons et sur les toits. On leur descendait par les fenêtres du vin, des jambons, des fruits. on les comblait de bénédictions. Un pont de bateaux jeté sur la Seine conduisait par un chemin jonché de fleurs au champ de la Fédération. L'Assemblée nationale marchait entre le bataillon des vétérans et celui des jeunes élèves de la patrie. Une pluie torrentielle ne cessait de tomber, mais personne ne s’en apercevait : « Ce sont les pleurs de l'aristocratie », disait-on gaiement. Plus de six cent mille hommes étaient réunis au Champ de Mars; trois cents prêtres vêtus d’aubes blanches entouraient l'évêque d'Autun qui officiait. Après le Te Deum, La Fayette et les fédérés renouvellent le serment civique pendant que douze cents musiciens font entendre des accords délicieux et que quarante pièces de canon