Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 87

placer les arrivants et de faire tenir le monde assis. Tout autour du cirque étaient des escaliers fort larges pour laisser monter le peuple. Il n’y a point eu de trouble; la foule s'est écoulée par plus de trois cents issues, sans nul danger. Un canonnier a seulement eu le poignet fracassé, son canon ayant fait long feu. Le pont de bateau était devant l'Arc de triomphe.

« La Fédération eût été bien plus brillante et bien plus grande sans une maudite pluie qui nous perça jusqu'à la peau et qui dura pendant toute la cérémonie. Nos députés de provincesupportèrent tout cela le mieux du monde; la gaieté fut générale; au plus fort de la pluie, ils firent une danse ronde autour de l'autel; le peuple répondit à leurs acclamations, les chapeaux tournaient autour des fusils et des sabres{. Le cirque garni de parapluies de différentes couleurs offrait une vue très gaie et très amusante.

« Nous sommes dans les fêtes jusqu'au cou; il me tarde que cela finisse, je ne me reconnais plus; ce n’est plus que bals, festins, illuminations, joutes sur l'eau,

1. Edmond raconte à ce propos une anecdote assez curieuse : « M. de Lafayette, fatigué de la longue marche de la Fédération qu'il dirigeait et plus encore de la fréquence des pluies, arrivé près du Champ de Mars, reçut un verre de vin d’un inconnu qu'il ne fit aucune difficulté de boire après un instant de réflexion. Le particulier s’en aperçut et, croyant deviner sa pensée, il remplit son verre et l’avala sur-le-champ. Le trait tant vanté du héros macédonien n’a rien de plus sublime que celui du général français qui n'a pu suspecter une intention perverse dans un de ses concitoyens.