La question du sel pendant la Révolution

XIV

RÉGIE

On pourrait faire régir les salines par la ci-devant ferme générale, par les administrateurs des Domaines nationaux, ou par l’administration forestière, sous la surveillance des corps administratifs. Mais il est présumable que des régisseurs qui résident à Paris, qui n'auront aucune des connais sances nécessaires pour diriger tous les détails d’une entreprise aussi considérable, puissent le faire avec quelque succès? Ne faut-il pas être sur les lieux pour voir tout par soi-même? Et quelque intelligence, quelque honnéteté qu’on accorde aux préposés de cette régie, ne seront-ils pas sans cesse arrêtés par la lenteur des décisions, qu’ils seront forcés de demander à des hommes qui connaîtront à peine la signification des mots dont ils se serviront; qui seront éloignés de cent lieues et plus des ateliers; qui seront surchargés d’autres affaires; qui n’apporteront point dans celle-ci la sollicitude active qu’excite l'intérêt personnel; qui auront une existence indépendante des salines; qui seront même rebutés par leur inexpérience, et qui se trouveront dans la fâcheuse alternative d’approuver tout aveuglément, ou de blâmer mal à propos.

Que serait-ce si ces préposés, qui reconnaïîtront si aisément l’insuffisance des régisseurs pour apprécier leurs opérations, se livraient à tous les abus dont une exploitation aussi compliquée et aussi dispendieuse est susCeptible, s'ils joignaient la négligence à l’infidélité? On ne s’apercevrait que très tard de leur mauvaise gestion, et peut-être ne serait-il plus temps de réparer leurs fautes. La perte de ces usines importantes suivrait presque inévitablement et de très près, celle de leur produit pendant le cours d’une administration vicieuse; l’État perdrait un revenu très intéressant, la balance du commerce se trouverait dérangée, et des milliers de familles se verraient dépourvues de moyens de subsistance. On pourrait observer que jusqu’à présent les salines ont été régies par la ferme générale, et que cependant on aurait dû s’apercevoir des inconvénients majeurs attachés a ce mode d'administration: mais il tenait à l’existence de la gabelle; un abus en entraîne toujours d’autres; et pour éviter que ces établissements placés au milieu des gabelles ne devinssent des entrepôts de faux-saunage, il fallait négliger leur amélioration, et faire de grands sacrifices sur le produit dont ils étaient susceptibles, pour ne pas s’écarter des principes du régime fiscal, auquel par la nature de leurs productions, ils devaient alors être assujettis. Actuelle? ment la gabelle et la ferme générale n'existent plus, et il est nécessaire de faire cesser les abus de toute espèce qui en étaient la suite.

Tout projet de joindre la régie des salines aux administrations centrales, paraît donc inadmissible; et il ne serait pas moins contraire aux intérêts de Etat de confier cette régie à une compagnie quelconque, en supposant, même qu’elle residât dans le centre de ses travaux. En effet, les frais d’exploitation forment une somme considérable, mais elle se divise à l’infini entre les employés de toute espèce, les ouvriers, les voituriers, les artisans, et des achats très minutieux; il est en quelque sorte impossible de retrouver la trace de toutes ces menues dépenses, qui ne peuvent être constatées d'une manière positive. On sentira aisément d’ailleurs qu’en régissant pour