Lazare Carnot d'après un témoin de sa vie et des documents nouveaux

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les jours à la même heure, on le voyait arriver à la Bibliothèque de l'Institut, s'approcher du feu, et lire avec une anxiété visible les nouvelles des progrès des ennemis. Le 24 janvier 1814, sa préoccupation parut plus vive encore que d'habitude; il demanda du papier et écrivit, au courant de la plume, une lettre dont voici la teneur :

« Sire,

» Aussi longtemps que le succès a couronné vos entreprises, je me suis abstenu de proposer à Votre Majesté des services que je n’ai pas cru lui être agréables; aujourd’hui que la mauvaise fortune met votre constance à une grande épreuve, je ne balance plus à vous faire l'offre des faibles moyens qui me restent. C'est peu, sans doute, que l'effort d’un bras sexagénaire; mais j'ai pensé que l'exemple d'un soldat dont les sentiments patriotiques sont connus, pourrait rallier à vos aigles beaucoup de gens incertains sur le parti qu'ils doivent prendre, et qui peuvent se laisser persuader que ce serait servir leur pays que de les abandonner.

» Il est encore temps pour vous, Sire, de conquérir une paix glorieuse, et de faire que l'amour du grand peuple vous soit rendu. »

Cette lettre est certainement admirable de sentiment et de style. Elle respire le plus pur patriotisme. Nous en avons eu sous les yeux l'original tracé d’une main ferme avec une grosse écriture droite, sans délié. La ponctuation et l’accentuation sont mises avec soin; les t sont barrés avec force; les voyelles sont fermées. En graphologie, ce sont les signes d’un esprit sincère, persévérant, sûr de lui-même. Le mot faibles est écrit foibles, selon l'orthographe du temps et il n'y a qu'une rature, après : C’est peu sans doute, où Carnot avait commencé à écrire qu'un invalide au lieu de l'effort d'un bras sexagénaire. C’est un document curieux miner.

LAZARE CARNOT