Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

LES DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION ii

sait obstinément, et, suivant une phrase consacrée, « avait dépensé plus d'esprit et mis en mouvement plus de ressorts ingénieux pour faire jouer sa pièce que pour la composer ».

La Folle journée, titre de la pièce à son origine, fut lue dans le cabinet du roi par M Campan, en présence de la reine.

« C’est détestable! s’écria le roi, en se levant soudain, cela ne sera jamais joué. » Puis il ajouta cette réflexion prophétique :

« Il faudrait détruire la Bastille, pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. Cet homme joue tout ce qu'il faut respecter dans un gouvernement. »

A la suite de cet emportement contre la pièce : « On ne la jouera donc point? » demanda la reine.

— « Non certainement, répondit Louis XVI, vous pouvez en être sûre » (1).

Cependant, cédant à de nombreuses et pressantes sollicitations partant de haut, et émanant même du comte d'Artois et du prince de Conti, ami et protecteur déclaré de l’auteur, le roi finit par accorder cette autorisation si longtemps refusée (2).

Dans cette comédie, Beaumarchais livrait hardi-

:

ment une grande bataille à tous les abus de son

(1) Un article publié par M. E. Lintilhac dans la Recue des Deuæ-Mondes, le 1° mars 1893, sous ce titre : Beaumarchais inédit, contient des documents curieux sur ce sujet.

Il en résulte notamment que, dans son plan primitif, l'auteur avait poussé l'audace jusqu'à placer l'action de La Folle journée, non en Espagne, mais bien en France, et même en plein règne de Louis XVI. 11 y était aussi fait mention de la Bastille, ce qui explique et justifie parfaitement l'exclamation échappée au roi, lors de la lecture de la pièce faite par Mr: Campan.

(2) Beaumarchais aurait même dédié sa pièce au roi, d’après les documents produits par M.Maurice Tourneux.—Paris, 1888. Plon, Nourrit et Cie