Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

12 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

époque, à la corruption des castes privilégiées, et criblait de ses traits satiriques les bénéficiaires de ces abus et privilèges.

Mais, chose étrange! et qui prouve bien le degré de frivolité, d'aveuglement de cette noblesse exclusivement amoureuse de plaisirs, de distractions, et surtout friande des scandales de l'esprit, la Folle journée eut un succès immense, et ces mêmes grands seigneurs accueillirent, avec des applaudissements frénétiques, les traits mordants décochés contre eux!

Ce qui ajoute encore à l'intérêt que présentait cette comédie, c’est qu’elle était comme le joyeux prologue de l'immense et sombre drame qui se préparait derrière elle; c’est que cette représentation avait lieu sous l’empire de l’ancien régime encore intact, devant cette cour brillante, fastueuse, en pleine possession de tous ses privilèges, et riant, inconsciente du péril qui la menaçait, aussi bien que des premiers grondements du grand orage révolutionnaire près de l’engloutir. C’est ainsi qu’on parlait alors frivolement des choses sérieuses, et sérieusement des choses frivoles. Avec l'esprit de bal, expression consacrée, les femmes plaisantaient sur Dieu lui-même, sur la religion, sur la personne royale : « Le roi épargne tout, la reine dépense tout, M. le comte d’Artois se. moque de tout. » Et cela se chantait sur un air quelconque.

C'était en quelque sorte donner le signal des critiques et ouvrir la voie aux pamphlets, si nombreux, si populaires, si agressifs.

Ce qu’on a peine à s’expliquer également, c’est que la reine Marie-Antoinette, elle-même, ne sut pas se soustraire à cette sorte de vertige.

En effet, malgré de nombreuses observations, même sortant de la bouche de son royal époux, elle

persista à jouer devant le roi, sur son théâtre du