Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

LES DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION 13

Petit-Trianon (1), le rôle de Suzanne, dans cette œuvre redoutable, contenant en germe tous les principes de la Révolution (2).

En agissant ainsi, elle cédait vraisemblablement à la fantaisie vaniteuse d’exhiber devant la cour les progrès artistiques qu’elle avait faits avec son professeur Dazincourt, l'acteur distingué de la ComédieFrançaise (3). Et cependant les courtisans ne se génaïent pas pour exprimer, entre eux, cette appréciation assez irrévérencieuse, rapportée par Bachaumont dans ses Mémoires secrets :

«Ilfaut convenir que c’est royalement mal joué » (4).

Les faiseurs d’ana allèrent même jusqu'à imputer

(1) La salle de spectacle du Petit-Trianon, d’un style décoratif à la fois coquet et luxueux, bâtie par Mique, avait été inaugurée solennellement le 1° août 1780, avec la Gageure imprévue de Sedaine et l'opéra-comique : Le Roi et le Fermier. La reine jouait, dans la Gageure, le rôle de Jenny, et dans la seconde pièce celui de la soubrette.

(2) Bonaparte, lui-même, avait dit : « Le Mariage de Figaro c'est déjà la Révolution en action. »

{3) Dazincourt, qui donna des lecons de déclamation à Marie-Antoinette, s’attirait, de la part de son camarade et son maitre Préville, cette définition, en raison de son jeu plus sage que brillant : « C’est un bon comique, plaisanterie à part. »

(4) L'année suivante, au moment où éclatait la fatale affaire du collier, quatre jours après l’incarcération du cardinal de Rohan, le 19 août 1785, sur ce théâtre du Petit-Trianon, où la reine réalisait ses rêves idylliques, dans de délicieuses paysanneries, avait lieu une représentation du Barbier de Séville: Marie-Antoinette y remplissait le rôle de Rosine, le comte de Vaudreuil celui d'Almaviva ; Bartholo, c'était le due de Guiche, Basile M. de Crussol, et Figaro était représenté par le comte d'Artois, frère du roi. Ce fut la dernière représentation à laquelle la reine concourut sur son théâtre.

— Un rapprochement historique assez curieux : 17 ans plus tard, la même pièce était jouée sur le petit théâtre que le pos Consul avait fait édifier à la Malmaison, et inauguré e 12 mai 1802. Hortense de Beauharnaïs, la future reine de Hollande, y obtenait un succès d'enthousiasme, dans le rôle de Rosine. Les autres rôles étaient joués : Almaviva, par le général Lauriston, Figaro par M. Didelot, Basile par Eugène de Beauharnais, Bartholo par Bourienne, et l’Eveillé par le peintre Isabey.