Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma
14 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION
au roi un coup de sifflet clandestin adressé à la royale actrice.
Depuis longtemps la curiosité publique était violemment surexcitée par l'annonce de cetté représentation. C'était la préoccupation exclusive des esprits, l’événement absorbant du moment.
Et cette curiosité était encore avivée par les récits d’un certain nombre de seigneurs et de dames de la cour, parmi lesquels le comte d'Artois, M de Polignac, et bien d’autres qui avaient assisté à une représentation de l’œuvre de Beaumarchais donnée au mois de septembre 1783, sur le théâtre de société de M. de Vaudreuil, dans son château de Gennevilliers. M. de Vaudreuil, qu'on appelait le beau de Vaudreuil, occupait à la cour la charge de grand fauconnier de France, sinécure, surtout à cette époque, lui laissant de larges loisirs pour organiser des représentations de comédie (1). « A cette reprétation, raconte M"° Lebrun, la chaleur était étouffante, et les dames s’en plaignaient ; alors Beaumarchaïs, ivre de joie, cassa les carreaux avec sa canne, ce qui fit dire qu’il avait doublement cassé les vitres. »
On s'était disputé les places avec une ardeur, une avidité sans précédent; jamais la belle salle du faubourg Saint-Germain, inaugurée depuis deux ans seulement, n’avait vu pareille affluence occuper ses abords, ni tant de carrosses armoriés pressés devant les colonnes de son péristyle (2).
(1) M. de Vaudreuil avait notoirement pour maîtresse la favorite de la reine, la duchesse de Polignac, de laquelle il recevait une pension de 35,000 livres prise aux dépens du Trésor public. — C'était l'homme du monde par excellence. La comtesse d’'Henin disait de lui: « Il n’y a que deux hommes qui sachent parler aux femmes: Lekain sur le théâtre et le comte de Vaudreuil dans un salon ». Il passait pour le meilleur acteur de société de Paris.
(@) Le 7 avril 1782, à l’occasion de l’ouverture de la salle