Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

30 LE THÉATRE-FRANÇAIS PENDANT LA RÉVOLUTION

de Proculus, dans le Brutus de Voltaire, revêtu de la toge, costumé d’après les monuments de l’art et avec l'exactitude la plus romaine, ce fut, parmi ses camarades de la Comédie, un étonnement général et tellement vif, devant cette innovation qui brisait toutes les traditions, que M'° Louise Contat, une fort aimable actrice, lâcha cette exclamation : « Oh! qu'il est ridicule! il a l'air d’une statue antique. » C'était en réalité le plus bel éloge qu'elle püût adresser au hardi novateur.

À son entrée en scène, M Vestris le contemple des pieds à la tête, et, tandis que Brutus lui adresse son couplet, elle échange à mi-voix, avec Talma-Proculus, ce rapide dialogue : « Mais vous avez les bras nus, Talma ! — Je les ai comme les avaient les Romains. — Mais, Talma, vous n’avez pas de culotte! — Les Romains n'en portaient pas. — Cochon !.… » Et prenant la main que lui offrait Brutus, elle sortit de scène en étouffant de colère (1).

Malgré la faveur marquée témoignée à Talma par le public, il arriva, ce qui était assez usuel alors, et n’a pas cessé de l'être encore aujourd’hui dans le monde du théâtre, c’est que le jeune acteur, reçu sociétaire en 1789, seulement deux ans après ses débuts, ne voyait pas sa position grandir au gré de ses désirs ét de ses efforts. Les rôles lui faisaient défaut, et il restait un peu systématiquement confiné dans la condition subalterne de doublure dans la tragédie et d'amoureux dans la comédie. Aucun rôle nouveau, lui permettant de développer ses forces et sa puissance tragique, ne lui avait été attribué. Il aspirait

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(1) En expliquant cette innovation à ses camarades, Talma eut assez de modestie et de franchise pour leur avouer que c'était sur les conseils du célèbre peintre David, son ami, qu'il avait risqué cette réforme. (Histoire anecdotique du Théâtre, par Ch. Maurice.)