Le théâtre français pendant la Révolution 1789-1799 : avec plusieurs lettres inédites de Talma

LES DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION 4i

« Messieurs, dit-il, la Comédie va prendre contre moi la même délibération que contre Talma. Je dénonce toute la Comédie. Il est faux que M. Talma ait trahi la Société et compromis la sûreté publique; tout son crime est de vous avoir dit qu’on pouvait jouer Charles IX, et voilà tout. »

Cette harangue, aussi étrange qu’imprévue, met le comble au tumulte; des motions de tous genres se heurtent, se croisent. Des orateurs, plus exaltés les uns que les autres, demandent la parole, comme dans les clubs, et la prennent tous à la fois.

Au milieu de cet effroyable charivari, on entend le bruit d’une grosse sonnette agitée par un des spectateurs qui crie: « À l’ordre! à l’ordre: » en parodiant le président de l’Assemblée nationale; puis, voyant que le tumulte ne cesse pas, il continue la parodie en se couvrant (1). Si on ne s’assomme pas dans la salle, peut s’en faut. Après bien des cris, les deux partis semblent faire un moment trève, et s'entendre sur un point : c'est de demander communication de la délibération des comédiens.

Ce fut encore Fleury qui se chargea de cette lecture, laquelle ne calma nullement les esprits.

On voulut commencer à jouer l'Ecole des maris, mais Dugazon, y ayant un rôle, s'était éclipsé après sa harangue, et il fut impossible de le retrouver.

Alors le tumulte reprit son cours et arriva à un tel

(1) C'était Suleau, principal rédacteur d’un journal du matin et aussi des Actes des Apôtres, feuille satirique en prose et en vers, sorte d'officine d’injures et de calomnies à l'adresse des républicains; son titre indique qu’elle était dirigée contre « les actes des apôtres de la liberté », qu’elle tournait en dérision; les rédacteurs disaient aussi être 45 et se nommaient les 45 apôtres.

Victime de la fureur populaire, Suleau périt dans la matinée du 10 août, de la main de la sanglante amazone de la Révolution, Théroigne de Méricourt. — Son fils, M. de Suleau, fut sénateur sous le second Empire.