Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3
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ames sensibles , viennent offrir en ce moment un repos à l’ame
fatiguée de tant d’horreurs. Je veux parler de mademoiselle Cazotte, et de mademoiselle de Sombreuil, ces deuxintrépides héroïnes de la piété filiale. Cazotte était octogénaire : il était célèbre par la vivacité et l'originalité de son esprit; il était enfermé à l'Abbaye. Deux jours auparavant le massacre, on avait séparé de lui sa fille, qui avait voulu le suivre : on l'avait forcée d’être libre; mais pleine de trouble, elle avait vu se préparer cette scène sanglante; elleerrait autour dela prison, nulle puissance ne pouvait l’en arracher. Elle voit, elle entend que c’est son père qu’on traîne au supplice; elle s’ouvre un passage au milieu des bourreaux étonnés, elle s’élance dans les bras de son père. Oserez-vous, leur crie-t-elle, attenter à ces cheveux blancs? Faites-moi mourir avant mon père et dans ses bras. On la soutient, on la rassure. Prouvezau moins son innocence, ui dirent les juges de la mort. Elle a repris toute sa présence d'esprit : elle leur parle, elle défend son père avec cet accent qui fait entrer la persuasion; il lui est rendu.
Ainsi qu'Elisabeth Cazotte, mademoiselle de Sombreuil avait aussi accompagné son père dans la prison. Rien n’avait pu la faire sortir de cette horrible enceinte. Ses cruels pressentimens avertissaient trop bien du malheur qui menacait son père, Les assassins arrivent, Sombreuil est appelé. Il voit le mou vement de sa fille; il veut la prévenir; il lui ordonne de rester: il ne lui laisse qu’un tendre adieu. En même temps les bourreaux eux-mêmes la retiennent, ils se défient de l’émotion
u’elle va produire sur leurs ames. Elle parvient à s’échapper
e leurs bras : elle arrive au lieu fatal; les juges allaient prononcer la mort; Sombreuil ne se défendait pas. Il frémit , il se trouble à l'aspect de sa fille. À genoux, devant les assassins, de ses mains elle pare tous leurs coups : de sa voix et de ses larmes elle les attendrit, et ils prononcent, au milieu des sanglots, la sentence d’absolution. Hélas! ni mademoiselle de Sombreuil, ni sur-tout sa digne émule, ne jouiront long-temps de cette victoire remportée sur le crime. Cazotte, épargné par des assasins, va, dans quelques jours, être frappé par des juges; et Sombreuil aussi sera arraché des bras de sa fille, et n'aura plus ses larmes et son courage pour le protéger.
Ces massacres durèrent depuis le 2 jusqu’au G-septembre. Quatre ou cinq mille prisonniers périrent, deux ou trois cents furent sauvés; la plupart de ces derniers étaient arrêtés pour dettes. Danton et la commune avaient fait sortir, la veille, des prisons , quelques hommes qui leur étaient recommandés: Beaumarchais, si célèbre par la gaieté et l'originalité de ses productions, et par tous les événemens de sa vie, était, depuis quelques jours, enfermé à l'Abbaye. Il s’entretenait avec les