Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

EXECUTIF. 229

veurs, et dont le vide ne pouvait se remplir , même par les plus violentes exactions; un directgire manquant tout à-la-fois de force, de concorde et de volonté; deux conseils divisés, dont chaque jour et chaque événement nouveau faisait et défaisait la majorité; les jacobins toujours prêts à ressaisir leur règne terrible; les royalistes recourant sans scrupule à tous les moyens que pouvait leur fournir la vengeance; les paisibles amis des lois réduits à garder entre ces partis la honteuse neutralité de la faiblesse : tel était l’état de la France, lorsqu’on apprit que Bonaparte avait débarqué à Fréjus!

Le cri de joie qui s’éleva dans toute la république , etsurtout dansla capitale, annonça tout ce qu’on espérait de ce retour, regardé comme miraculeux. Le bruit de la victoire d’Aboukir l'avait devancé. On se racontait tous les triomphes de l'Orient; on revenait sur ceux de l'Italie, et déjà on la voyait reconquise. On opposait le même homme à la ligue, à la guerre civile, à l’anarchie. La république, fatiguée, épuisée, était disposée à tous les sacrifices, mais ne voulait les faire qu'à la gloire. Cet empressement à recevoir un libérateur , l'hommage d’une dictature qui semblait, devant lui, sortir de toutes les bouches, devaient causer un grand ombrage à des magistrats jaloux de leur faible autorité, et aux hommes turbulens et fanatiques qui n’en voulaient reconnaître aucune. Mais les directeurs étaient divisés. Sieyes et son fidèle collégue Roger-Ducos, qui savaient tout ce que l'on court de périls lorsqu'on a défié les jacobins sans les avoir vaincus , étaient sûrs de trouver un abri sous le bouclier de Bonaparte. Sieyes avait, depuis trois mois, cherché un général auquel il pût confier ses plans, et dont le grand caractère les fît réussir. La destinée le servait au-delà de ses espérances. Il s’attacha à tirer de l'obscurité et des embarras d’une théorie un système qui pût être promptement mis en action. Bonaparte en concut un plus simple. Barras, à qui le luxe rendait le pouvoir nécessaire, et qui regardait comme le plus grand amusement du pouvoir celui de conduire beaucoup d’intrigues , paraissait se flatter d’obtenir une seconde place sous un homme de qui la destinée était de remplir la première. Les deux autres directeurs, Moulins et Gohier , ont laissé dans leur courte administration si peu de traces de leur caractère, qu'il est presque indifférent de connaître quelles étaient leurs dispositions dans cette circonstance. Mais l'un, comme militaire, ne devait pas être étranger à ces sentimens qui avaient volontairement subordonné tous les généraux à Bonaparte; l’autre passait pour avoir une facilité qui ne s’inquiétait et ne s’offensait de rien. Quand aux deux conseils, on sentait, à l'émotion qu'y avaitrépandue l’arrivée de Bonaparte,