Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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que peu de jours allaient suffire pour décider le combat entre £eux qui cherchaient l’ordre sans pouvoir en poser les bases, et ceux qui reculaient toujours les limites de la liberté, jusqu'à ce qu’elle se confondiît avec l’anarchie. Si ces derniers craignaient Bonaparte; le respect pour tant de services et de gloire les empêchait d’éclater.

Bonaparte arriva à Paris en devancçant l’ordre qui l'y eût appelé. Sa route avait eu malgré lui l'éclat d’un triomphe. Déjà il avait paru à la foule des spectateurs qui accouraïent sur son passage un premier magistrat qui se rend à son poste. La prudence de Bonaparte, dans son séjour à Paris, fut de paraître dédaigner tout ce qu’eüt prescrit une circonspection commune. Il ne se taisait point sur les fautes qui avaient été commises ; il neflattait point le parti régnant. Il paraissait rarement au Luxembourg, dissimulait les intelligences qu’il avait avecSieyes ; rejetait avec dédain les ouvertures de Barras ; sans insulter à l'autorité des autres directeurs , il n’appelait ni ne fuyait leurs ombrages. Il s’environnait de tous les hommes qui avaient signalé avec quelque dévouement leur amour de l’ordre, mais sans les montrer en groupe autour de lui : il n'avait pas besoin de concilier, il lui suffisait de rallier à son nom ceux que différens chocs de la révolution avaient désunis. Il est presque inutile de nommer les hommes puissans qui s’empressèrent autour du libérateur espéré ; les postes éminens qu’ils occupent aujourd’hui les désignent. A leur tête étaient plusieurs des ministres du directoire, mais particulièrement le ministre de la police, Fouché; le ministre de la justice, Cambacérès, et l’ex-ministre des relations extérieures, TalleyrandPérigord. ‘

’était la première fois qu’un grand mouvement s’organisait sans se déceler par une plus vive agitation dans les esprits. On ne remarquait aucune vaine recherche de popularité dans un homme qui était si sûr des vœux du peuple et de l’armée, qu’il se gardait d’en faire d’indiscrètes épreuves. Ceux même que la confiance de Bonaparte appelait à ses conseils se sentaient entraînés vers un ordre nouveau, et n'auraient pu le définir avec clarté. Le secret du mouvement était défendu par son obscurité même : il n’y avaitpoint de ces craintes vagues qui accompagnent un projet mystérieux et hasardeux , et qui, sans le faire connaître , révèlent aux yeux exercés son existence. Aussi le directeur Barras, et ceux qui, comme lui, avaient obtenu la renommée de bons tacticiens en révolution, se persuadèrent-ils qu'on n’en pouvait conduire aucune dans le silence du peuple et des soldats. Leur étrange sécurité fournit presque