Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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à l’islamisme et il nous apprend un peu plus loin que vers l’âge de soixante ans, le Guzlar était un ivrogne fieflé. Si l'on voulait tirer quelque chose de lui, il fallait le faire boire ; car il ne se sentait inspiré que lorsqu'il était à peu près ivre. On sait combien l’ivrognerie est rare chez les Slaves méridionaux et à plus forte raison chez ceux qui sont musulmans.

Personne, ni en France, ni à l'étranger, ne s’est demandé ce que pouvait bien vouloir dire ce nom de Maglanovitch et je m'étonne que M. Matié ne se soit pas posé la question. Magla en serbo-croate veut dire le brouillard. Mérimée évidemment n’ignore pas la signification du mot. Le nom de son Guzlar veut donc dire: Fils du brouillard. En le donnant à son héros, l’auteur de la supercherie se moque agréablement de lui-même et du lecteur. D'ailleurs, vers 1830 la poésie ossianique était encore fort à la mode et les brouillards d'Ecosse charmaient encore les imaginations.

Notre public était alors absolument ignorant de la poésie des Slaves méridionaux. Mérimée lui-même en avait si peu l’idée qu’il composa tous ses chants en couplets de einq à huit lignes de prose qui sont censés correspondre à des strophes de l'original. Or, la poésie populaire serbo-croate ne connaît pas les strophes. Le récit coule d’une façon continue en vers décasyllabiques analogues pour la structure aux vers des contes de Voltaire ou de La Fontaine, ou en vers octosyllabiques.

Si l’auteur de 4 Guzla ne connaissait guère la rythmique des pesmas, il n’avait guère plus d'idée des noms propres sud-slaves. Sauf quelques noms empruntés à Fortis, les noms propres de La Guzla sont fabriqués de toute pièce, (quelques-uns sur des types grecs Stamati, Kaïmis), ou sont des noms russes qui étaient déjà connus en France dans les premières années du dix-neuvième siècle : Alexis, Fedor, Prascovie ‘ (celui-ci popularisé par le récit de Xavier

1. Prascovie est tout simplement la transcription du grec Paraskeue qui veut dire vendredi (le jour où l’on se prépare au Sabbat).