Trois amies de Chateaubriand

328 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND

prouve assez par l’état de son âme. Parmi les choses que lui dit Sénèque, l’une est très bonne; ce n’est malheureusement pas un remède, mais un diagnostic, et le voici : Nos nimia literatura lakoramus. Oui, mon cher Serenus, nous souffrons d’un excès de littérature ; et il y a de la littérature, dans ta maladie.

Ï ÿ avait de la littérature aussi, dans le tourment de René; à moins qu’on n'aime mieux considérer que la maladie était là et qu’il lorna de littérature. Mais alors, la littérature aggravait la maladie, comme des bagues sont trop lourdes à des mains débiles, et comme on dirait que les trop splendides étofles, les durs brocarts fatiguent les ultimes rejetons de la maison d'Autriche, dans les morbides portraits de Velasquez, et enfin comme un trop luxueux paysage de soleil irrite les yeux d’un convalescent,

Il y a de l’analogie entre le temps où vécut Serenus et le temps où Chateaubriand préluda. Serenus est le contemporain de Néron. Cette époque fut raffinée, qui suivait un siècle de révolution. Pareillement, Chateaubriand survint après la formidable secousse qui bouleversa la France à la fin du dixhuitième siècle. Ce jeune homme avait assisté à la catastrophe qui engloutissait et ses croyances héréditaires, et ses habitudes, et ses possibilités d’un bonheur savamment préparé par les siècles. Il avait vu tout cela en décombres. En faut-il davantage pour alarmer à jamais une sensibilité, pour la jeter dans la détresse et pour l’engager à trouver son plaisir dans.les larmes?