Trois amies de Chateaubriand

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chien, une niaise satisfaction d'aimer et d’être fidèle à un maître... » Après avoir continué encore un peu l'éloge du chat, il ajoutait : « Je trouve, quant à moi, que notre longue familiarité m'a donné quelques-unes de ses allures! »

Pour être plus fidèle, il n’auraiït pas fallu que, toute sa vie, René fût alarmé par l’amer sentiment de la mort, de la prompte dégradation des visages, de la corruption finale et inévitable. Mais la démoralisante mort est, dans toute son œuvre, mêlée au plaisir, à l’activité, à l'illusion de la vitalité fleurissante. Quand il était jeune encore, il trouvait à cette complexe pensée un attrait bizarre; plus tard, il s’en désespéra. Et il fut infidèle comme la vie.

Il a écrit, dans le Rancé : « Les danses s’établissent sur la poussière des morts et les tombeaux poussent sous les pas de la vie... » Une danse des morts emporte, dans ses lacets innombrables, le pape, et les rois, et les empereurs, et les grands de la terre, et les belles dames, et les enfants; une danse des morts comme celle qui est au pont de Lucerne. Et l'odeur de la mort est là comme dans la fresque d’Orcagna, au Campo-Santo de Pise : les cavaliers se bouchent le nez; les chevaux reniflent et se détournent. Dans le cortège de la danse, Ninon de Lenclos n’est plus que « des os entrelacés »; dans ce cortège de la danse, nous apercevons encore une vivante allégorie de l'Amitié, puis une vivante allégorie de l'Amour.

1. Comte ne MarcerLus, Chateaubriand et son temps, p. 49.