Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt
2 UN HIVER A PARIS
son petit guide piqué par un serpent: et le portrait, grandeur naturelle, du général Murat (1), d’une vigueur et d’un coloris extraordinaires. Plus loin se voit l'Endymion de Girodet (2), aussi original d'invention que d'effet; puis viennent les tableaux de Regnault, de Robert le paysagiste, et autres. David n’a pas obtempéré au vœu du gouvernement : suivant son habitude, il expose ses œuvres, dans son atelier, au Louvre, et se procure un profit appréciable avec les trente-six sous d'entrée qu'il prélève sur ses admirateurs.
L'Exposition m'a fait connaitre une peinture nouvelle qui peut rivaliser avec celles de David et de Gérard, c’est Hippolyte et Phèdre (3), de Guérin, élève de Regnault. L'idée comme l'exécution révèlent autant de sentiment et de réflexion que d’habileté de pinceau. La figure d'Hippolyte, vraiment antique dans sa simplicité, m'a séduit à première vue; Phèdre, d'une teinte cadavéreuse, et Thésée, convulsivement furieux, m'ont causé une impression défavorable. Je compte revoir cette toile dans l'atelier du peintre, et je réserve mon jugement. Elle suscite un enthousiasme bruyant; on ferait un volume avec les articles des critiques qui s’escriment à son sujet, sans faire preuve de grand sens artistique. Un prince russe a, dit-on, offert quatorze mille livres au jeune artiste, absorbé par son tableau depuis plusieurs années. Mais on prétend que le gouvernement ne veut pas laisser
(1) Portrait du général Murat, par Gérard, au collège des Quatre Nations. (Livret du Salon de l'an X, 5° supplément.) Il en sera question plus loin.
(2) Au Louvre : Endymion, peint à Rome, exposé pour la première fois au Salon de 1793. Coïncidence : en 1799, le peintre allemand Gareis, cité plus loin, qui n'aurait connu ni Girodet ni son tableau, exposait, à Dresde, une Luna et Endymion.
(3) Au Louvre : acquis par l'administration impériale.